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Lettre ouverte à la police cantonale fribourgeoise

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De défense des opprimé•es à oppressions systémiques, la police navigue en eaux troubles. Son piédestal chevaleresque s’est effondré depuis longtemps et il est temps pour elle de choisir un camp.


Monsieur Maurice Ropraz, conseiller d’Etat, directeur de la sécurité et de la justice pour le canton,

Monsieur Philippe Allain, commandant de la police cantonale,

Monsieur Christian Bruegger, chef des services du commandement,

Monsieur Jacques Meuwly, chef de la gendarmerie,

Monsieur Marc Andrey, chef de la police de sûreté,

Messieurs, c’est un honneur de vous écrire aujourd’hui, et je le fais avec toute ma bonne foi. Après tout, n’ai-je pas moi-même rêvé d’être l’un des vôtres ?

Lutter contre le crime, protéger les plus vulnérables, et faire tout cela de manière désintéressée. J’avoue avoir été attiré par l’idée très chevaleresque que je me faisais de la vie de policier·ère.

Il m’aura fallu atteindre 25 ans et obtenir un bachelor en sciences criminelles avant de réaliser que la réalité est un peu plus compliquée et nuancée que dans les séries américaines, telles que NCIS, qui m’avaient donné envie de faire ce métier. Dans la vie, en effet, on trouve bien peu de tueurs et tueuses de sang-froid, agissant pour un mobile futile et faisant preuve de sauvagerie cruelle. Dommage, ç’eut été plus facile de se convaincre d’avoir raison dans ce cas.
Mais non. Malheureusement, dans la vie, les cas sont complexes, les motifs souvent discutables, parfois compréhensibles, et la culpabilité toujours difficile à sceller, ce n’est pas moi qui vais vous l’apprendre. Et au lieu d’assassins, violeurs et pédophiles, les pires criminel·les portent les noms de capitaines d’industries, grand·es entrepreneur·ses ou encore promoteur·rices immobillier·ères.

Pour être honnête, mon opinion sur le métier a bien changé. Je dois vous avouer que je ne vous apprécie guère, mais cela n’a rien de personnel. A dire vrai, je vous en veux. Je vous en veux d’avoir choisi ce métier, je vous en veux de ne pas y avoir réfléchi à deux fois, de n’avoir pas lu Foucault, Livrozet, ou même Dom Hélder Câmara, que je ne peux pas m’empêcher de citer ici.

Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue.

Voilà, messieurs, ce que je vous reproche. Je vous reproche de vous être faits les instruments de cette troisième violence. De ne pas avoir réalisé que, bien avant de devenir les protecteurs de la veuve et de l’orphelin, les gardiens de la Paix avec un grand P, vous alliez vous faire les défenseurs du statu quo, de l’idéologie dominante, de ce système qui nous aliène et nous conduit à une mort certaine.

Je vous reproche de vous cacher derrière la loi, derrière votre métier, derrière la « paix sociale » qu’il faut préserver, afin de mieux réprimer les mouvements sociaux et d’étouffer la contestation légitime envers un pouvoir politique incompétent et incapable, un pouvoir économique corrompu et exploiteur et une justice dépassée et désorientée.

Ces deux dernières années nous en ont pourtant donné, des mouvements sociaux. La grève du climat, la grève féministe, Extinction Rebellion, etc. et ils ont été réprimés sévèrement. Avez-vous l’impression que votre répression les a affaiblis ? A moi, il ne me semble pas en tous cas. Je les vois redoubler d’ardeur en cette sortie de confinement, alors que tout retourne à l’anormal, malgré ce que l’on nous avait promis. Confinement qui a été, soit dit en passant, également habilement détourné afin de réduire encore nos droits de nous organiser, de nous rassembler, de manifester, de nous faire entendre.

Voyez-vous, messieurs, nous, les manifestant·es, les activistes, les militant·es, nous nous sommes donné·es une responsabilité que personne, et surtout pas l’Etat, ne semble décidé à prendre. C’est celle de faire de ce monde un endroit où chacun·e pourrait vivre librement et dignement, disposer de son temps et de son corps conformément à sa volonté, et se sentir en sécurité, protégé·e de toutes les discriminations et oppressions. Cette responsabilité, vous le comprendrez, dépasse de loin tout cadre légal et toute considération politique ou économique. En d’autres mots, nous ne saurions nous abaisser à respecter des lois injustes et discriminatoires pour porter nos revendications dans l’espace public.

Le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie et bien sûr les changements climatiques et l’effondrement de la biodiversité sont autant de phénomènes qui pèsent directement sur la réussite de notre but, et que nous devons par conséquent combattre de toutes nos forces.

Mais vous, vous avez également une responsabilité dans toute cette histoire. Nous avons pu constater à maintes reprises que ni l’idéologie néolibérale capitaliste, ni notre système fédéral avec régime parlementaire, ni notre justice ne sont prêt·es à faire face aux défis que posent les phénomènes sus-cités. Et l’illustration la plus flagrante concerne la catastrophe environnementale en cours. Les espèces s’éteignent actuellement 100 à 1000 fois plus vite qu’au cours de ces 10’000 dernières années, 800’000 personnes meurent chaque année en Europe des conséquences de la pollution et du réchauffement (maladies respiratoires, canicules, etc.), seuls 48 glaciers suisses (sur 1400 actuellement) supporteraient une augmentation de la température moyenne de 2°C, la Suisse ne respecte pas les accords de Paris et ne les a jamais respectés, on se dirige actuellement vers une augmentation de la température moyenne de plus de 3°C, le vote sur l’initiative pour des multinationales responsables est constamment repoussé dans le but à peine dissimulé d’épuiser les ressources des initiant·es, la loi CO2 a également été repoussée, puis proposée sous une forme aseptisée et inutile, et je pourrais continuer encore longtemps.
En réalité, ce sont précisément cette idéologie, ce système et cette « justice » qui nous ont amené où nous sommes à présent, au pied du mur.

Les mouvements contestataires sont littéralement notre dernière chance de nous en sortir, de ne pas voir cette planète devenir inhabitable pour notre propre espèce, de ne pas céder aux gouvernements autoritaires d’extrême-droite, ou encore de ne pas se réveiller un beau matin et se rendre compte qu’on est sur le point d’aller assister à l’exécution d’un·e membre d’une minorité ethnique ou sexuelle.

C’est là que votre responsabilité intervient. L’Etat a échoué, l’économie a échoué, la justice a échoué, vous ne pouvez pas refuser de l’admettre, vous ne pouvez plus continuer de vous auto-persuader, dans une tentative schizophrénique de plier la réalité à ce que vous aimeriez qu’elle soit, juste pour éviter de remettre en question vos choix de carrière et votre rôle social.

Car si vous ne remettez pas en question ces choses, si vous continuez d’agir comme si de rien n’était, comme si vous aviez raison, comme si vous étiez dans le camp des gentils, alors l’histoire se souviendra que vous, messieurs Ropraz, Allain, Bruegger, Meuwly et Andrey, vous êtes activement opposés à un changement urgent et nécessaire.

Que vous avez, en utilisant tous les moyens à votre disposition, en premier lieu votre autorité sur les forces policières de notre canton, fait barrage à une population qui luttait pour son salut, pour le bien commun et pour un monde meilleur. Que vous avez usé et abusé de votre pouvoir pour réprimer, interpeler, amender, incarcérer d’honnêtes citoyen·nes dont les seuls torts auront été d’être préoccupé·es par l’inaction de leur gouvernement et d’être inquiété·es par le manque de moyens à leur disposition pour se faire entendre et pour avoir une influence sur des décisions qui les impactaient directement.

Et je tenais à adresser cette lettre à vous cinq, personnellement. On peut également reprocher beaucoup de choses aux uniformé·es, aux agent·es de terrain, leur responsabilité individuelle est aussi engagée dans cette histoire. Iels auraient très bien pu, comme moi, changer d’orientation lorsqu’iels ont fini par constater que la réalité ne correspondait pas à l’idéal auquel iels avaient pourtant cru sincèrement. Iels pourraient refuser d’obéir aux ordres, se mettre en grève, changer de métier, etc. Mais ces actes comportent des risques que tout le monde ne peut pas se permettre de prendre suivant sa situation familiale, sociale, économique, etc. Vous, en revanche, vous avez un pouvoir de décision. Et vous pouvez l’utiliser à bon ou à mauvais escient.

Telle est votre responsabilité, et, tout comme la nôtre, elle dépasse largement la loi, la politique et votre métier. Vous pouvez prendre la bonne décision maintenant. Vous pouvez vous joindre à nous. Vos enfants ne seront pas plus épargnés que les miens par les conséquences du réchauffement climatiques. Le fait que vous étiez dans le camp des « forces de l’ordre » et pas dans celui des « terroristes pro-climat » ne changera rien non plus. Lorsque les famines et les pénuries d’eau, intensifiées par les vagues de migration climatique, s’abattrons sur nous, lorsque les virus millénaires, qui feraient passer le coronavirus pour un simple rhume, sortiront du permafrost, lorsque les canicules emporteront nos parents et nos jeunes enfants, nous serons toustes égaux·ales.

Il n’est pas trop tard, mais le temps presse. Continuer de réprimer les mouvements sociaux, et ainsi ralentir de facto encore un peu plus les changements qui ont été trop longtemps repoussés, c’est de la folie. Et si je ne vous aime pas, je ne vous crois pas pour autant fous. Nous sommes toustes dans le même camp, car nous sommes toustes des êtres humains. Maintenant, à vous de nous prouver que vous êtes encore humains, en nous montrant que vous êtes de notre côté.

2 Comments

  1. Je partage l’analyse dans cette lettre ouverte en grande partie.
    Je comprends aussi que l’on puisse ouvertement affirmer que l’on n’aime pas la police fribourgeoise si on a subi sa force répressive. Par contre, je pense que les simples policiers-ères ne travaillent pas que dans la répression et qu’ils son nombreux à ne pas aimer cela. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain et cherchons à séparer le bon du mal.

    • je comprend ton avis et je l’ai pendant longtemps partager. Mais il y a peux j’ai appris l’origine de la police, comme cette institution est apparue avec le temps et pourquoi. Quand on apprend cela, enfin pour ma part, je ne vois plus aucun argument pour cette institution, pas même pour les plus honnêtes qui veulent faire le bien et aider leur prochain du plus profond de leur cœur.
      Mais clarifions, je n’ai rien contre leur personne, c’est juste que la police n’as pas lieux d’être à mes yeux et qu’il faudrait repenser tout le système.
      Je suis persuadé que la méchanceté gratuite n’existe presque pas, ci des personnes vole, viole, ou tue c’est par ce qu’on vie dans une société toxique. Alors essayons, apprenons, enseignions et peut être un jour on pourra ce passer de cette instituions fonder sur la répression et la protection des riches 🙂

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