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Occupation de la place fédérale 2/2

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Du 21 septembre, 4h30 du matin, au 23 septembre, 8h30 du matin, la place du Palais Fédéral se trouvaient sous les pieds de plusieurs centaines d’activistes, rattaché·es à La Grève du Climat, Extinction Rebellion, Collective Climate Justice, Collectif Break Free et Greenpeace, et, temporairement, à la manifestation Stop Isolation protestant contre les centres de retour. La semaine s’est terminée avec une manifestation dans le cadre d’un mouvement de grève international pour le climat vendredi 25 septembre. Nous vous proposons ici un récit de l’action jour par jour, raconté par différentes personnes y ayant participé à différents moments.

*Tous les prénoms cités sont des noms d’emprunt.


Nuit de mardi à mercredi – Ondine*

La ville nous avait laissé un ultimatum jusqu’à 20 heures. On devait décider si on restait sur la PF ou bien si on se déplaçait sur la Waisenhausplatz, endroit qui nous était gracieusement offert par la ville, merci pour la générosité. On avait choisi de rester. On savait donc qu’il était possible qu’on vienne nous déloger durant la nuit. Afin de ne pas prendre le risque de nous faire surprendre dans notre sommeil, on s’est organisé par GA pour qu’il y ait à toujours quelqu’un·e qui soit éveillé·e. A la fin du premier quart, vers 1 heure du matin, on s’est fait réveiller, apparemment les flics approchaient. On a bondi hors de nos sacs de couchage et on s’est dépêché·es de se rendre sur notre lieu de blocage. Moi je me trouvais devant le Palais fédéral, contre des barrières qui se situaient entre une ligne de bottes de paille et un amas de vélos. Avec Pierre et une autre fille, Michèle, nous étions les trois derniers de la rangée, croché·es dans des armlocks (tube à l’aide duquel deux militant·es s’attachent ensemble en passant leur bras dedans). La police a mis du temps à arriver. Après plusieurs sommations, permettant à celleux qui le voulaient de sortir de la PF sans complications, l’évacuation à proprement parler a pu commencer. C’était 3 heures du matin. Ça faisait déjà deux heures qu’on était là, à bloquer. Avec Pierre, on avait eu le temps de partir dans des réflexions philosophiques sur ce que pouvait causer les rumeurs dans ce genre de situation : nous étions persuadé·es que personne ne viendrait nous déloger en plein milieu de la nuit, on trouvait ça un peu aberrant… jusqu’à ce qu’on voie les flics débarquer. On avait été rattrapé·es par la réalité des faits.

Vers 5 heures du matin, il semblait que notre tour arrivait gentiment, les pompier·ères s’approchaient. Iels ont scié l’armlock qui reliait mon bras gauche à un type suisse allemand, très sympathique par ailleurs. Voir cette énorme scie électrique avancer sur ce tube à l’intérieur duquel quelque part mon bras se trouvait, était quelque chose d’assez effrayant – même si les pompier·ères faisaient ça très bien. Au vu de la situation, tout le monde pensait qu’on était les prochain·es à se faire évacuer. Les anges gardien·nes (personnes dont le rôle lors d’une action est de s’occuper des bloqueur·euses) ont donc enlevé nos couvertures de survie pour les donner à des bloqueur·euses qui se trouvaient à un endroit dont l’évacuation prochaine paraissait moins probable. Mais, sans qu’on sache trop pourquoi, on nous a complètement oublié·es. Nous étions les trois dernier·ères sur cette longue ligne de bloqueur·euses et plus personne ne prêtait attention à nous. Peut-être que les pompier·ères étaient allés déloger d’autres gens, peut-être que leur machine avait lâché…

A 8 heures on s’est enfin fait déloger. L’évacuation s’est faite d’une manière un peu étrange : au lieu de nous scier les armlocks sur place, les policier·ères ont tenté de nous amener en-dehors de la place les trois à la fois. Iels nous ont conduits dans une rue adjacente à la PF où des tentes avaient été installées pour procéder à une première prise d’identité et à une fouille avant le départ pour le poste. On attendait là, que quelqu’un·e vienne nous enlever nos armlocks. Mais on avait tous les trois tellement besoin d’aller aux toilettes qu’on a décidé de sortir nous-mêmes des armlocks. C’était un peu minable comme fin, mais c’est comme ça que ça s’est passé, en allant au petit coin accompagné·es par des robocops.

Ensuite, iels m’ont prise sous la tente, où j’ai du donner mon identité et vider mes poches. Puis iels m’ont passé les menottes dans le dos et m’ont mise dans un fourgon, dans un tout petit compartiment. Là, j’ai attendu. Un certain temps, vraisemblablement le temps qu’iels remplissent le fourgon. Dans ce tout petit compartiment, il y avait un sac pour vomir et je me demandais comment, si par hasard j’en avais eu le besoin, j’aurais pu le saisir avec mes mains menottées dans le dos. Ils avaient aussi pensé à mettre une interdiction de fumer (comme si j’avais pu me rouler une clope !) Ensuite, on est arrive au poste de police. On est placé sur un banc, en file d’attente. Là, j’attends, j’attends. Je passe ensuite à la photo et à la fouille, et on me met en cellule avec cinq autres filles. Je reste quelques heures, avant qu’on vienne me chercher pour mon interrogatoire. De façon assez étrange, la personne qui m’interrogeait ne parlait pas un mot d’allemand, et comme tous les formulaires étaient en allemand, elle ne comprenait pas les questions qu’elle devait me poser. Il n’arrêtait donc pas d’aller demander à un collègue le sens des questions. Et toutes ces questions auxquelles je répondais à chaque fois que je n’avais rien à déclarer il devait quand même les retranscrire à la main. Ça a pris des plombes : je voyais les gens entrer, terminer leur interrogatoire et quitter le poste. Trois séries de gens ont défilé devant mes yeux avant que mon interrogatoire ne soit terminé. Enfin, j’ai pu sortir du poste, après cinq heures de temps environ. J’avais commencé à bloquer à 1 heure du matin et il était 15 heures. J’ai attendu mes amis qui n’était pas encore sortis, et nous nous sommes rendus à cet endroit où tous les sacs se trouvaient, et où nous avons pu manger quelque chose. Puis, je suis rentrée et je suis allée dormir, parce que ma nuit avait été très blanche.


C’était mon premier vrai gros blocage où je restais vraiment jusqu’au bout, après les sommations de la police, ma première garde à vue. Sur le moment, j’ai vécu ça très bien, sans angoisse, sans regret. Je savais que j’étais à la bonne place. C’est le retour à la maison, au train-train et aux journées qui se ressemblent, qui a été dur. Je ne saurais pas dégager un seul moment fort : pour moi comme c’était une première, toutes les phases de l’arrestation ont été intenses. Il y a eu ce moment particulier dans le fourgon parce que c’était un des seuls moments où je me suis retrouvée seule face à moi-même, et où j’ai pu réfléchir, penser. Il y a aussi eu ce moment en cellule que j’ai beaucoup aimé, où on s’est toutes retrouvées à partager nos expériences, comment on a vécu ça, rigoler sur des histoires un peu cocasses, parce que tout le monde en a eu, finalement, des histoires cocasses. Et si je devais choisir une image qui va me rester en tête, ce serait celle-ci : je revois le soleil qui se levait et Pierre, Michèle et moi, devant ce palais fédéral avec quelques élus qui commençaient à arriver, et nous, trois dernier·ères rescapé·es qui étions tout emballé·es dans nos couvertures de survie dorées, comme des paquets cadeau, à geler de froid et à avoir besoin de pisser.

Emotionnellement, c’était une action vraiment puissante, en tout cas pour ce qui est du jour où j’ai participé (je suis arrivée mardi). Ce jour-là, face à la répression de la manifestation Stop Isolation, j’ai pensé : purée on est des petit·es blanc·hes privilégié·es et nous on nous enlève avec des pincettes ! C’est aussi pourquoi je me suis décidée à aller jusqu’au bout, ça me paraissait d’autant plus nécessaire de montrer qu’on était prêt·es à mettre nos petits privilèges en péril, en allant jusqu’en garde à vue. Symboliquement aussi, j’ai trouvé que l’action était forte : le fait qu’on soit devant ce palais fédéral, entourés de banques, et puis nous, ces gens qui sommes là entre les banques et le palais fédéral pour dire finalement la démocratie, c’est le peuple, c’est pas les lobbies financiers. Une chose est sûre : on n’est pas passé inaperçu. Dans les médias, on a beaucoup parlé de désobéissance civile (également en raison du deuxième procès des joueurs de tennis chez Crédit Suisse qui s’est tenu au Tribunal Cantonal Vaudois le 22 septembre), on la légitimait ou on la critiquait, mais en tous les cas on en a parlé et je pense que c’est assez nouveau dans notre petit pays très sage. Pour moi c’est action, elle était très, très réussie. Je remercie les gens qui y ont participé et qui l’ont organisée, car je pense que ça a eu du poids. Je ne suis pas de nature optimiste, utopiste et je n’ai pas l’impression qu’on ait changé le monde ni quoique ce soit d’autre avec notre action, mais je pense qu’en tout cas elle valait la peine d’être menée.

Vendredi après-midi – Arthur*

Le rassemblement pour la manifestation Friday For Future a eu lieu à 15h30 sur l’Helvetia Platz à Berne. Beaucoup de monde était là (les chiffres officiels disent « plus de 2000 personnes »). Il y a eu des discours, mais une grande partie des personnes présentes ne les entendait pas, mêmes nous qui étions près ne les entendions pas. Et puis surtout, c’était très long : on est arrivé vers 15h30 et la manif a commencé vers 16h30 (alors que le but de ce genre de discours, comme tout le monde les a déjà plus ou moins entendus, c’est de motiver les manifestant·es pour la marche). On a quand même fini par partir, la marche était très chouette. Alors qu’on était sur le pont, il y a eu tout à coup beaucoup de vent et de pluie, ça donnait à la manif un côté apocalyptique. J’étais dans la première moitié, il y avait beaucoup de bruit, d’agitation, un vrai engouement et une énergie se dégageaient. On est arrivé ensuite sur la Waisenhausplatz, qui est très proche de la PF. Un cordon de police (une petite trentaine, avec flashballs et camion à eau) bloquait le passage vers la PF. Une grande partie des manifestant·es voulait aller sur la PF, et les personnes de devant semblaient prêtes à affronter le cordon de police et à ouvrir le passage pour le reste de la manifestation. Alors qu’on se dirigeait vers la PF, certaines personnes de la manif nous ont « rappelés à l’ordre », iels nous ont dit de revenir en arrière sur la Waisenausplatz parce que cela faisait partie du consensus d’action de ne pas aller sur la PF.


J’ai trouvé vraiment dommage de s’être si strictement tenu au consensus d’action parce que ça aurait été un symbole très fort de se trouver sur la PF à nouveau, et par cette action de signifier : vous nous avez enlevé·es de la PF mais on revient et on montre que notre évacuation n’a pas changé quoique ce soit à nos revendications et à l’urgence. Et ça aurait aussi été une vraie unification avec d’autres mouvements militants comme les mouvements anarchistes bernois qui emploient généralement d’autres modes d’action que les militant·es pour le climat. Je pense que les personnes de ces mouvements qui étaient venues en solidarité avec nous ont été très déçues, du fait qu’on leur ait dit frontalement que leur manière de lutter n’était pas la bonne, qu’ils avaient tort et que ce n’était pas comme ça qu’on obtenait des résultats. Il y avait aussi un rapport de supériorité assez dérangeant. On leur a imposé en quelque sorte la non-violence de manière violente (on nous rattrapait, on nous tirait en arrière, on nous criait dessus) alors qu’il ne s’agissait même pas d’aller vers une action violente, mais plutôt vers une confrontation avec la violence étatique. Les personnes qui ont ordonné le retour en arrière ont principalement mis en avant l’argument du consensus d’action, partant du principe que les prises de décision à propos du déroulement de la manif se faisaient au moment de l’élaboration du consensus et uniquement à ce moment-là. Il y avait là des philosophies militantes très différentes. Je pense que les personnes venant des cercles anarchistes n’ont pas apprécié qu’on leur dise qu’une manif n’était pas la leur et que leur participation à une manifestation doive se calquer sur le mode d’action du reste de la manifestation. Au-delà des interprétations, on peut assez bien résumer l’événement de cette façon : il y avait environ 2000 personnes (peut-être pas les 2000, mais une bonne partie) qui se dirigeaient vers la PF, et après cette altercation, plus que quelques centaines de personnes restaient pour écouter les discours.

Je suis donc passé d’une grande joie, à être dans la manif avec ces gens d’autres cercles militants, crier avec nous, adopter les mêmes revendications, à une grosse déception au moment où on nous a « empêché » de continuer à avancer, voire quasiment à de la haine et de l’énervement, dus à la manière dont le message a été transmis. Après coup, je leur en veux moins, je pense qu’iels ont voulu bien faire et qu’iels avaient peur pour le bon déroulement de la manif. J’espère que cet événement mènera vers une discussion et nous permettra de mieux réagir si la situation devait se reproduire. Mon avis, c’est que ça passe forcément par une liberté d’action totale de tous les individus qui sont présents dans la manif. C’est vrai qu’à XR, on est très rattachés au fait de respecter un même consensus d’action, mais je pense que de pouvoir clarifier le fait que chaque personne qui rejoint une manifestation est totalement libre de ses faits et gestes serait un grand pas en avant et exclurait beaucoup moins de monde.

Si je dois garder une image : c’est tous ces gens autour de moi qui criaient les mêmes slogans tous ensemble, et qui venaient d’horizons très différents, pour moi c’est une vraie image de rassemblement, de cohésion, on est toustes là pour la même chose, et nos différences on les met de côté pour quelques heures.


On peut imaginer qu’en 2040, l’occupation de la place fédérale du 20 au 23 septembre 2020 sera un événement que les professeur·es suisses montreront à leurs élèves comme un des signaux d’alerte ayant été donné à l’échelle suisse sur l’insuffisance de la réaction politique face aux changements écologiques globaux qu’iels seront en train de vivre, mais aussi, (si le·a professeur·e est un peu littéraire) comme une lueur pointant vers la possibilité d’un changement sociétal juste et joyeux.

Mais nous n’avons pas été là pour être inscrit·es dans l’histoire, nous avons été là pour montrer que nos revendications n’étaient ni des plaisanteries, ni des caprices de jeunesse, nous avons été là pour pour montrer que les priorités écologiques n’avaient pas disparu avec l’arrivée du Covid 19. Que cela nous mène vers les prochains échelons de notre stratégie de l’escalade.

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