Qu’est-ce qui a déraillé ? Quand on s’imagine les open-space taraudés par la question, ces petites fourmilières high-tech où s’ingénient (en costumes-cravates et autres tailleurs blancs) le nec plus ultra de Swisscom, de Sunrise ou de Salt, on ne peut pas réprimer un léger picotement joyeux. Iels ont dû en vivre des réunions de crise, des crispations de dents, des appels en urgence, et des coulées de sueur perlant sur leur chemise innocentes. Bien sûr, le combat n’est pas encore perdu pour eux, loin de là. Simplement, il a lieu. Et c’est bien là la surprise : la 5G devait se déployer comme une lettre à la poste, elle va devoir franchir un véritable front composite de résistance. Pour mieux comprendre ce qu’il se passe, j’ai rencontré une des artisanes de cette lutte, Nathalie, et j’ai potassé le sujet pour proposer cinq courts articles revenant sur certains enjeux de la 5G et sur le mouvement qui s’y oppose.
Fin 2016, une motion est discutée au Parlement portant sur la modernisation des réseaux de téléphonie mobile. Il n’est alors pas encore directement question de la 5G mais de la saturation prochaine du réseau. Le problème est présenté ainsi : la réglementation en vigueur (l’ordonnance sur les rayonnements non ionisants, ORNI) fixe une valeur limite d’émission de l’installation1 et le trafic sur le réseau augmente vertigineusement chaque année. Il va falloir soit poser de nouvelles antennes, ce qui représente de lourds investissements, soit augmenter ces valeurs limites, une solution privilégiée par les opérateurs de téléphonie mobile. On évoque que ces valeurs limites de l’installation pourrait passer de 6 V/m à près de 20 V/m. Le Conseil National accepte cette motion invitant le Conseil Fédéral à augmenter ces valeurs limites, le Conseil des Etats quant à lui refuse. Début 2018, une nouvelle motion est proposée au Conseil des Etats allant dans le même sens, toujours proposée par des membres du PLR – on notera le caractère légèrement dramatique de son titre « Eviter l’effondrement des réseaux de téléphonie mobile ». En vain : le Conseil des Etats à nouveau refuse.
Ce double refus – à chaque fois à une voix près – s’est appuyé, si l’on en croit les débats, sur différents arguments. D’abord le Conseil Fédéral peut décider du changement des valeurs limites de lui-même, sans passer par le Parlement, pourquoi ce dernier devrait-il se prononcer avant même toute modification ? Ensuite la question sanitaire : elle a été largement discutée et paraît avoir été prise au sérieux – il semble que le principe de précaution ait convaincu plus d’un parlementaire qu’en l’état actuel des recherches, il était difficile de se prononcer sur la dangerosité des ondes. Enfin, il a été avancé qu’en maintenant les valeurs limites actuelles, on inciterait peut-être les opérateurs à mettre sur pied d’autres moyens plus efficaces.
C’est alors que la question de la 5G s’immisce dans le contexte de cette discussion sur la saturation des réseaux. Le dilemme reste le même, changer l’ORNI et augmenter les valeurs-limites de l’installation ou construire de nouvelles antennes, mais il s’en trouve encore augmenté. En effet, la 5G est destinée à utiliser des fréquences d’ondes plus élevées (dans un premier temps, dans les bandes de 3,5 GHz, mais il est prévu ensuite d’utiliser des ondes millimétriques, soit des ondes à plus hautes fréquences, dépassant les 24GHz), ondes qui traversent moins bien les obstacles, se propagent moins bien et nécessitent donc de plus grande puissance pour leur émission.
Plus précisément, une problématique semble particulièrement importante : celle des nouvelles antennes utilisées avec la 5G, les antennes dites adaptatives. Contrairement aux antennes traditionnelles, les antennes adaptatives peuvent cibler leur rayonnement en direction des appareils. Dans quelle mesure ce ciblage devrait légalement permettre des puissances d’ondes plus élevées si le rayonnement dans les autres directions reste plus faible ? C’est ce que le Conseil Fédéral n’a pas encore déterminé. En attendant cette clarification, l’évaluation des rayonnements des antennes adaptatives est la même que pour celle des antennes traditionnelles, limitant donc de fait la puissance de ces nouvelles antennes.
En février 2019, le Conseil fédéral vend de nouvelles fréquences (700 MHz, 1400 MHz et 3500 MHz) à Salt, Sunrise pour un montant de 380 millions de francs. Cette vente n’est pas nécessairement affiliée à la 5G : les opérateurs sont libres d’utiliser ces fréquences avec la technologie qu’ils souhaitent. Il s’agit néanmoins avec ces nouvelles concessions de permettre aux opérateurs l’introduction de la 5G en Suisse. Les caractéristiques des fréquences octroyées sont similaires à celles qui sont déjà exploitées avec la 3G et la 4G, ce sont des ondes centimétriques. On notera qu’avec la 5G il est prévu d’utiliser des bandes de fréquences millimétriques, soit au-dessus de 24GHz. Pour l’instant, le Conseil fédéral n’a pas encore été décidé de les octroyer aux opérateurs. Ces ondes millimétriques représentent un autre enjeu lié à la 5G : leurs effets ne sont guère documentés et nécessiteraient des recherches plus poussées.
Parallèlement, courant 2018-2019, il se dit que le Conseil fédéral, à défaut de changer les réglementations de l’ORNI, pourrait changer la manière de calculer l’émission d’une antenne. On en trouve une trace écrite dans une réponse adressée au conseiller national Fathi Derder lequel craignait que l’état actuel des réglementations empêche le déploiement de la 5G. La réponse du Conseil fédéral (qui date de mars 2018) est empreinte d’un cynisme ahurissant :
« Le Conseil fédéral respecte la volonté du Parlement. Il est conscient que la décision de ne pas augmenter les valeurs limites préventives des émissions rendra le déploiement de la 5G plus difficile en Suisse. Il est toutefois envisageable d’adapter les méthodes de mesures et de calcul pour les limites préventives des émissions. Cela permettrait une augmentation modérée de la capacité des sites existants, et cela sans modifier l’ordonnance précitée et en maintenant inchangées les valeurs limites d’immissions. Le déploiement initial de la 5G, dans l’attente d’une éventuelle révision future des valeurs limites, sera ainsi facilité2. »
C’est dans ce contexte que commence à s’organiser début 2019 la lutte contre la 5G.
Cet article fait partie d’une série sur la lutte anti-5G à Fribourg.
voir série- 5G : Une lutte moins théorique qu’existentielle 1/5
- 5G : Des tentatives feutrées pour changer la loi 2/5
- Eruptions décentralisées : naissance du mouvement anti-5G 3/5
- La 5G ? Une technologie plurielle (et un enfumage des opérateurs) 4/5
- Actualités de la lutte anti-5G : à quand l’ouverture d’une brèche écologique ? 5/5
- 5G : Le lobbying a payé
- La 5G à nouveau embourbée
- La puissance des antennes 5G bientôt augmentée ?
- J’en parle brièvement dans le premier article, ici!
- https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20185209