Qu’est-ce qui a déraillé ? Quand on s’imagine les open-space taraudés par la question, ces petites fourmilières high-tech où s’ingénient (en costumes-cravates et autres tailleurs blancs) le nec plus ultra de Swisscom, de Sunrise ou de Salt, on ne peut pas réprimer un léger picotement joyeux. Iels ont dû en vivre des réunions de crise, des crispations de dents, des appels en urgence, et des coulées de sueur perlant sur leur chemise innocentes. Bien sûr, le combat n’est pas encore perdu pour eux, loin de là. Simplement, il a lieu. Et c’est bien là la surprise : la 5G devait se déployer comme une lettre à la poste, elle va devoir franchir un véritable front composite de résistance. Pour mieux comprendre ce qu’il se passe, j’ai rencontré une des artisanes de cette lutte, Valérie, et j’ai potassé le sujet pour proposer cinq courts articles revenant sur certains enjeux de la 5G et sur le mouvement qui s’y oppose.
Le diable réside dans les détails : l’expression « 5G » telle qu’elle est utilisée par tout un chacun, par les politicien.nes et en particulier par les opérateurs, renvoie en fait à une réalité composite et floue.
On préfère souvent définir la 5G par les nouveaux usages qu’elle permettrait. Pour l’usager.ère, elle serait surtout synonyme d’un débit de transmission des données jusqu’à 100 fois supérieur à celui de la 4G, permettant un temps de téléchargement extrêmement rapide et la possibilité d’étendre les expériences de réalité virtuelle. Concernant plus directement les milieux professionnels, elle devrait permettre un temps de latence fortement réduit, rendant possible la connexion avec certains robots qui nécessitent une extrême précision. Elle devrait également fortement multiplier le nombre d’objets pouvant être connectés (c’est ce qu’on appelle l’Internet des objets). Plus globalement, elle devrait provoquer une rupture dans la manière dont les infrastructures réseaux seront utilisées : l’équivalent d’un petit séisme qui devrait ouvrir vers tout un tas de nouvelles fonctionnalités.
Voilà pour ses utilisations. Mais celles-ci ne vont pas nécessairement toutes ensemble. Il n’existe pas de « pack 5G » tout fait. Si on prend par exemple la question du débit de transmission, la vitesse promise par les promoteurices de la 5G ne pourra pas être atteinte sans l’exploitation des ondes millimétriques, ces ondes hautes fréquences qui, on l’a déjà évoqué, n’ont pas encore été vendues aux opérateurs.
Plus pratiquement, Valérie m’explique : « En fait, il y a deux 5G, la 5G que Swisscom qualifie de 5G Wide, ou basique et la vraie 5G ». Pour changer une antenne 3G en antenne 5G, quelques menues modifications suffisent qui ne nécessitent, dans le canton de Fribourg, aucune mise à l’enquête : c’est la 5G basique, de fait un ersatz de la 5G, « avec un débit qui se situe entre celui de la 3G et le double de celui de la 4G1 ». C’est là, semble-il, un coup de communication des opérateurs désireux de se présenter comme à la pointe des avancées technologiques, tout en instillant dans les têtes l’idée simplifiée selon laquelle la 5G serait déjà là. C’est peut-être aussi leur stratégie en vue d’amener les consommateurs et consommatrices à acheter un appareil qui fonctionne sur ce réseau malgré les difficultés à mettre en place la véritable 5G.
Si le déploiement de la 5G va bon train selon les opérateurs, il s’agit donc de cette pseudo-5G. Quant à la véritable 5G, son déploiement prend plus de temps. Est-il d’ailleurs déjà en cours ? En partie, si l’on en croit l’Etat de Fribourg qui affirme compter sur son territoire 17 antennes en « vraie 5G » (pour 61 antennes en 5G basique2). Il entend par là les antennes dites adaptatives, sur lesquelles la 5G doit s’appuyer. Néanmoins, on l’a dit, les conditions légales actuelles limitent les émissions de ces antennes – pour autant que les opérateurs respectent véritablement la loi, ce qui est une autre question – et nécessitent la construction d’un nombre d’installations faramineux.
La 5G est là, et l’on peut d’ores et déjà capter son signal dans de nombreuses communes suisses. Et pourtant elle n’est pas encore totalement là : son véritable déploiement n’a été qu’amorcé, la réglementation actuelle le rend difficilement praticable. La réalité est complexe.
Le rapport « Téléphonie mobile et rayonnement », publié en novembre 2019, à défaut de donner une ligne de conduite au Conseil fédéral, propose quelques indications concernant le nombre d’installations qu’il faudrait construire selon une variation de l’ORNI. Ce sont là évidemment des estimations. Dans cet équilibre entre valeurs-limites de l’installation et nombres d’installations, le rapport propose cinq scénarios différents. Le premier scénario consiste en un statut quo de la valeur d’émission mais autorisant, du fait notamment des antennes adaptatives, que des expositions un peu supérieures se produisent. Il faudrait construire environ 26’000 stations de téléphonie supplémentaires et 5’000 réaménagements d’installations déjà existantes (coût d’investissement : 8 milliards de francs suisses). Le second scénario prévoit au contraire des mesures garantissant que l’exposition n’augmente pas : plus de 46’000 nouvelles installations seraient nécessaires (coût d’investissement : 13 milliards). En rapportant ces chiffres par rapport aux quelques 8’500 installations que l’on comptabilisait en Suisse en décembre 20183, on prend la mesure du chantier de la 5G et de l’enjeu que représente pour les opérateurs un changement de l’ORNI.
Cet article fait partie d’une série sur la lutte anti-5G à Fribourg.
voir série- 5G : Une lutte moins théorique qu’existentielle 1/5
- 5G : Des tentatives feutrées pour changer la loi 2/5
- Eruptions décentralisées : naissance du mouvement anti-5G 3/5
- La 5G ? Une technologie plurielle (et un enfumage des opérateurs) 4/5
- Actualités de la lutte anti-5G : à quand l’ouverture d’une brèche écologique ? 5/5
- 5G : Le lobbying a payé
- La 5G à nouveau embourbée
- La puissance des antennes 5G bientôt augmentée ?
- http://pierredubochet.ch/1g,-2g,-3g,-4g-et-5g.html
- Situation au 15.09.2020. Voir : https://www.fr.ch/energie-agriculture-et-environnement/environnement/5g
- On distingue le nombre d’installations du nombre d’antennes, une seule installation pouvant compter plusieurs antennes.