Qu’est-ce qui a déraillé ? Quand on s’imagine les open-space taraudés par la question, ces petites fourmilières high-tech où s’ingénient (en costumes-cravates et autres tailleurs blancs) le nec plus ultra de Swisscom, de Sunrise ou de Salt, on ne peut pas réprimer un léger picotement joyeux. Iels ont dû en vivre des réunions de crise, des crispations de dents, des appels en urgence, et des coulées de sueur perlant sur leur chemises innocentes. Bien sûr, le combat n’est pas encore perdu pour eux, loin de là. Simplement, il a lieu. Et c’est bien là la surprise : la 5G devait se déployer comme une lettre à la poste, elle va devoir franchir un véritable front composite de résistance. Pour mieux comprendre ce qu’il se passe, j’ai rencontré une des artisanes de cette lutte, Valérie, et j’ai potassé le sujet pour proposer cinq courts articles revenant sur certains enjeux de la 5G et sur le mouvement qui s’y oppose.
« Au début, ils t’ignorent. Ensuite ils te ridiculisent. Puis ils t’attaquent. » Valérie reprend à son compte l’expression qu’on attribue parfois à Gandhi. Maintenant que les militant.es anti-5G sont parvenu.es à mettre en place une ferme résistance face à la construction de toute nouvelle antenne, il n’est plus question pour les promoteurices de la 5G de les ignorer, ni de les tourner en dérision. Le temps est à l’attaque. En avril 2020, le think thank Avenir suisse publie un papier intitulé « Ce qu’un moratoire sur la 5G signifierait pour la Suisse » se fondant sur un récit uchronique catastropho-tragi-comique : que se serait-il passé si la Suisse avait interdit la 3G ? Deux mois plus tard, les opérateurs suisses et d’autres soutiens (dont la marraine fribourgeoise, fraîchement élue au Conseil des Etats, Johanna Gapany) lancent une plateforme de communication, CHANCE5G.
Les opérateurs et toute la place économique suisse ont visiblement sonné le branlebas de combat : d’une manière ou d’une autre il faut que les réglementations de l’ORNI changent et que les freins au déploiement de la 5G soient levés. Vis-à-vis de la population, la stratégie est claire : il faut la rassurer sur cette nouvelle technologie et surtout lui faire miroiter toutes les merveilles que celle-ci promet. On sait par ailleurs que les patrons des opérateurs téléphoniques ont eu un rendez-vous mi-septembre avec la Conseillère fédérale chargée du DETEC, Simonetta Sommaruga. Ceux-ci auraient fortement insisté pour changer l’ORNI appliquée aux antennes adaptatives. L’enjeu est de taille. Une étude financée par les opérateurs chiffre à plus de 40 milliards les bénéfices qui pourraient revenir en 2030 à toute l’économie suisse si la 5G venait à être installée rapidement1.
Cela passera-t-il par le Conseil Fédéral qui pourrait modifier de son propre chef l’ORNI ou changer la manière de prendre les mesures, permettant in fine une augmentation de la puissance d’émission des antennes ? A court-terme, cela semble peu probable après que le Conseil des Etats ait exprimé à deux reprises ses réticences. A moins de se faire discrètement et silencieusement, ce court-circuitage démocratique donnerait de l’eau au moulin aux deux initiatives qui sont en cours de récolte. Cela passera-t-il par le Parlement qui pourrait envoyer un nouveau signal au Conseil Fédéral pour accélérer le déploiement de la 5G ? Peut-être. Il faudra également surveiller le comportement des communes et le sort que réservera la justice suisse aux procédures concernant la construction des nouvelles antennes. Pour Valérie, ce qu’attendent les opérateurs, c’est précisément qu’une des initiatives soit amenée le plus vite possible devant la population et que ce soit cette dernière qui débloque la situation. A noter que les deux initiatives qui sont actuellement au stade de la récolte de signatures ne visent pas explicitement la 5G mais davantage les conditions-cadres qui rendraient son déploiement encore plus difficile.
J’évoquais l’existence d’un bruit anti-5G : une sorte de rumeur composite, une rumeur larvée de fronde. Face aux promesses clinquantes du « tout-connecté » et du « progrès » à tout crin, espérons que celle-ci se creuse, se renforce, se soulève. Les précurseur.es de l’opposition contre la 5G se sont mobilisé.es du fait de la nocivité des ondes. Ne serait-il pas temps aujourd’hui pour les mouvements écolos et pour les partis qui se revendiquent « écologistes » d’ouvrir avec fracas une deuxième brèche et de poser le problème en termes écologiques ?
Discuter d’un autre idéal de « société » dont le « progrès » ne repose plus sur des avancées technologiques ou sur de la croissance économique.
Débattre, à partir d’un sujet concret, de la nécessité de dire collectivement « stop » à une technologie néfaste pour l’environnement – dont on sait par ailleurs qu’il sera très difficile de se défaire une fois qu’on s’y sera habitué.
Faire tomber les masques des prétendu.es écologistes qui promeuvent la croissance verte et la green technology par des analyses réductionnistes, oubliant ainsi de parler non seulement des coûts socio-environnementaux qui entourent la 5G (extraction et transport des matériaux de construction, prolifération de ces objets électroniques que doit interconnecter la 5G, etc.) mais également de certains effets économiques, quand ceux-ci ne leur plaisent pas – ainsi, faudra-t-il le répéter, du fait de l’effet rebond, la 5G aura beau réduire le coût énergique d’un octet transporté, l’augmentation des données échangées conduira à une augmentation de la consommation énergétique totale. Pour être précis : on parle avec la 5G d’une multiplication par deux ou par trois de la consommation énergétique des opérateurs mobiles2.
Voilà qui doit intéresser celleux qui défendent une écologie radicale.
Cet article fait partie d’une série sur la lutte anti-5G à Fribourg.
voir série- 5G : Une lutte moins théorique qu’existentielle 1/5
- 5G : Des tentatives feutrées pour changer la loi 2/5
- Eruptions décentralisées : naissance du mouvement anti-5G 3/5
- La 5G ? Une technologie plurielle (et un enfumage des opérateurs) 4/5
- Actualités de la lutte anti-5G : à quand l’ouverture d’une brèche écologique ? 5/5
- 5G : Le lobbying a payé
- La 5G à nouveau embourbée
- La puissance des antennes 5G bientôt augmentée ?
- https://asut.ch/
- Selon les prévisions de Shift Project et de Hugues Ferreboeuf, directeur du projet « sobriété numérique », voir lemonde.fr, le 9 janvier 2020.