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Pourquoi la crise sanitaire du Covid-19 est d’abord une crise écologique

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Contrairement aux sous-entendus distillés par le champ médiatique et le champ politique1, le Covid-19 n’est ni le résultat fortuit d’une fatalité cruelle, ni celui d’une punition divine, mais une des premières pandémies qui porte la marque de fabrique du capitalisme, sorte d’usine à épidémies. Alors que cette crise sanitaire aurait dû sensibiliser ses responsables politiques et sa population sur ce mode de vie mortifère (au sens littéral), l’Occident rebrousse chemin et pointe le ciel de l’index. Satanés Dieux !

Marie-Monique Robin, journaliste, écrivaine et cinéaste française, a profité de cette période troublée pour rassembler les témoignages d’une soixantaine de chercheurs.ses du monde entier qui alertent le monde politicien depuis maintenant plus de trente ans sur les ravages épidémiologiques du capitalisme. Le fruit de cette longue balade transdisciplinaire, « La fabrique des pandémies : préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire », détricote la fable médiatique et politique d’un simple coup de malchance.

Cette pandémie n’était pas seulement crainte. Elle était surtout prévisible. Comme toutes les autres qui suivront si nous ne questionnons pas de manière radicale notre rapport au Vivant.


Résurrection des maladies infectieuses

Pendant les années 1970, alors que le mythe du progrès continu est à son apogée et que le chemin vers la société idéale semble tout tracé, les maladies infectieuses émergentes (à grande majorité des zoonoses, c’est-à-dire des maladies infectieuses qui se transmettent de l’animal à l’Homme) se transforment en spectres d’un autre temps. La variole, dernier vestige à molester les pieds confiants des épidémiologues, est éradiquée. Ces graines pandémiques, souvent dévastatrices, appartiennent désormais aux mâchoires du passé. L’OMS et les Etats-Unis, portés par le sentiment du devoir accompli, ferment leurs unités de recherche sur les maladies infectieuses2. Ce ciel azuré ne plane que sur les terres occidentales ? Peu importe ! L’Occident, le grand Occident, a vaincu les maladies infectieuses, preuve ultime de la domination réjouissante de l’Homme blanc sur la nature.

L’Histoire, tenace, s’accroche toutefois aux bottes de l’épidémiologie. Alors que certaines épidémies aux ailes coupées (dont la première version d’Ebola) grignotent l’optimisme occidental, le Sida fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le monde de la recherche. Cette terrible pandémie, dont la souche provient originellement d’un primate, force les chercheurs.ses à ressortir leurs dossiers poussiéreux sur les maladies infectieuses. Surtout, elle opère une rupture avec la conception pastorienne de la maladie : « Alors que la vision du scientifique français ressemblait à une simple équation un virus = une maladie, l’être humain, par ses activités, s’introduit dans l’équation » raconte Stephen Morse, le créateur du concept de virus émergent (un virus qui apparaît nouvellement au sein d’un hôte et qui peut déclencher une maladie inconnue, comme le Sida). L’Américain comprend avant tout le monde que notre mode de fonctionnement sociétal, par ses actions dévastatrices sur la biodiversité, donne naissance à de nombreux territoires émergents, c’est-à-dire des espaces favorables à l’émergence de nouvelles maladies infectieuses. Conscient de l’avènement d’une nouvelle ère, Stephen Morse organise une conférence dans laquelle il présente des théories qui vont bouleverser la science. «Stephen Morse propose une vision écologique de l’émergence des maladies, où l’Homme par son incursion dans l’environnement naturel, ses changements de mode de vie, ses déplacements a transformé des virus jusque-là inoffensifs en des virus émergents capables de pénétrer et de se répandre rapidement dans les communautés humaines », explique Andrew Lakoff, sociologue.

Le Sida fait ainsi figure d’avertissement aux multiples frais. Plusieurs expert.e.s, dans la continuité du travail de Stephen Morse, tirent la sonnette d’alarme face à ce nouvel horizon effrayant où prolifèrent les maladies infectieuses. Un émincé d’ombre, parsemé de silence : voilà ce que leur réservent le champ médiatique et le champ politique.

La chance de Stephen Morse et de ses collègues provient d’un séisme géopolitique : alors que la conférence tenue par l’Américain date de 1989, l’URSS s’effondre quelques années plus tard. Les Etats-Unis, face à ce vide que procure la fin de la Guerre Froide, réallouent une partie de leur budget militaire à la prepardness, c’est-à-dire la mise en place de dispositifs (sorte de sparadraps géants) censés préparer le pays face aux situations d’urgence et face aux catastrophes qui se profilent. Cette stratégie d’ampleur nationale sera encore amplifiée après la résurgence du terrorisme par le biais des attentats du 11 septembre. Craignant l’émergence d’un bioterrorisme, le gouvernement américain met les bouchées doubles. Cette stratégie de l’autruche s’entourant de barbelé, extrêmement onéreuse, s’avère être, à la lumière du Covid-19, un cuisant échec. Mais surtout, elle ne freine absolument pas cette épidémie de pandémies qui menace l’Humanité, puisqu’elle ne s’attaque absolument pas aux causes anthropiques que nous énumérerons bientôt.

Les chiffres confirment malheureusement les craintes des scientifiques : le nombre de maladies infectieuses émergentes a explosé ces dernières cinquante années. Alors que jusque dans les années 1970, l’Homme découvrait une nouvelle pathologie infectieuse toutes les dix à quinze ans, il en observe, depuis les années 2000, au moins cinq par an. Ce gouffre n’est malheureusement pas (seulement) dû aux progrès de la recherche. « Si nous ne repensons pas radicalement notre rapport aux animaux et à la nature, nous entrerons dans une ère de confinement chronique qui nous coûtera très cher économiquement et humainement », relâche dans un souffle de dépit Malik Peiris, virologue. Que ce discours fasse trembler les chaumières !

Responsabilité humaine

L’horizon que dessinent ces scientifiques est clair comme de l’eau de roche. Mais quelles sont les causes anthropiques de cette explosion de nouvelles maladies infectieuses ? Les chercheurs.ses s’accordent pour placer la déforestation comme le premier facteur d’émergence. En 2019, malgré les plans stratégiques internationaux pour faire cesser l’érosion de la biodiversité et pour réduire le rythme d’appauvrissement des habitats naturels, ce sont plus de 24 millions d’hectares de forêts qui sont partis en fumée, soit presque six fois la taille de la Suisse. La corrélation entre les actes de déforestation et l’émergence de nouvelles maladies infectieuses fait désormais consensus. « Les épidémies zoonotiques ont principalement lieu là où on déforeste », explique Serge Morand. Robert Nasi, chercheur français, travaille sur les épidémies en Afrique. Concernant la petite trentaine de « patients zéro » que ses équipes ont retrouvés et localisés, ses résultats sont très clairs : les épicentres se situent dans des territoires victimes de déforestation lors des deux années précédentes. « Le meilleur moyen d’éviter une nouvelle pandémie est d’arrêter de fragmenter ou de détruire la forêt tropicale », conclut-il.

Cette incursion de l’Homme dans un écosystème stable et complexe bouleverse son équilibre et provoque des processus difficiles à prédire : déplacement de populations d’animaux porteurs de virus, nouvelles interactions entre êtres vivants suite à la réduction de leur habitat, bouleversement des chaînes alimentaires favorisant la prolifération de parasites, création de ponts pour les microorganismes entre les populations forestières et les populations animales à travers les zones périurbaines où se développent l’élevage et l’agriculture, …

Rodolphe Gozlan est un écologue basé en Guyane. S’il confirme la corrélation évidente entre déforestation et multiplication de nouvelles maladies infectieuses, il ajoute le dérèglement climatique sur le banc des accusés. Responsable d’une augmentation de la pluviométrie, ce réchauffement planétaire risque de provoquer des débordements de rivières plus fréquents, entraînant une expansion géographique de mycobactéries jusque dans les lieux d’habitat. Rodolphe Gozlan et son équipe ont développé un programme informatique dont le but est de déterminer, grâce à ces phénomènes anthropiques, les territoires émergents les plus inquiétants de notre planète. Ses résultats, qui datent de septembre 2019, sont éloquents. Selon ce programme, deux régions semblent particulièrement propices à l’émergence de nouvelles maladies infectieuses : une région en Ouganda et … Wuhan en Chine.

Les activités humaines ne se résument pas à la déforestation et au dérèglement climatique. Pierre Ibisch (professeur de conservation de la nature) pointe l’augmentation du nombre de routes du doigt (perte d’habitats naturels, microcrises climatiques aux abords des routes à cause du réchauffement du sol, décès d’arbres qui bordent la route, …), Matthew Baylis (directeur de la chaire d’épidémiologie vétérinaire de Liverpool) alerte sur le rôle des animaux domestiques dans la transmission des pathogènes (ponts épidémiologiques entre populations d’animaux sauvages et populations humaines), Malik Peiris (virologue) s’intéresse aux chaînes de production animale, aux marchés humides ainsi qu’à l’élevage intensif qui augmentent les risques de pandémie, Serge Morand explique à la lumière de la sixième extinction de masse des espèces que « si plus de biodiversité signifie plus de pathogènes, moins de biodiversité signifie plus d’épidémies infectieuses » (effet dilution), … C’est sans doute là le cœur de La fabrique des pandémies, l’endroit où réside sa véritable puissance : une cascade de sensibilisation aux conséquences épidémiologiques de la chute de la biodiversité.

Importance et limites de la fabrique des pandémies

La fabrique des pandémies est une mosaïque de témoignages qui rend compte d’un consensus scientifique effrayant : notre mode de vie occidental produit des pandémies. Cette crise du Covid-19 était prévisible, presque attendue. D’autres suivront. « On savait. Mais les politiques font la sourde oreille, en continuant de promouvoir une vision techniciste et anthropocentrée de la santé, qui fait la part belle aux intérêts des multinationales pharmaceutiques et de l’agrobusiness, lesquelles partagent les mêmes actionnaires et fonds de pension, dont les dirigeants sont lobotomisés par la recherche du profit à court terme », assène Marie-Monique Robin. Alors que ces chercheurs.ses du monde entier alertent depuis presque trente ans sur ces risques épidémiologiques, iels ont été forcé.e.s de prêcher dans le désert.

Cette phrase acérée de la journaliste française tranche avec le principal reproche que nous pouvons faire sur son précieux travail de récolte et d’assemblage des sources : le capitalisme passe étrangement entre les gouttes de sa plume aiguisée. Ce mot a même déserté l’ouvrage en entier. Cet oubli forcément conscient pousse Marie-Monique Robin à présenter une vision souvent dépolitisée de la réalité. Lorsqu’elle intitule son second chapitre les activités humaines provoquent l’émergence de maladies infectieuses, elle omet de préciser que toutes ces activités humaines sont le produit d’un environnement, d’un système économicopolitique qui broie le Vivant derrière l’étiquette de capitalisme. Ainsi, les propos de la journaliste française donnent l’image faussée de multiples dérives individuelles aux cinq coins du globes. Autrement dit, la chute de la biodiversité et de dérèglement climatique sont les fruits pourris du capitalisme, et non de l’Humanité. Pour prolonger cette critique, l’utilisation du terme capitalocène au détriment d’anthropocène nous aurait semblé plus pertinente.

Cette grande absence, celle du capitalisme, est poussée à son paroxysme dans la conclusion lorsque s’empilent les témoignages sur l’effondrement. Safa Motesharrei explique que cette pandémie est la preuve que le processus d’effritement qui conduit à l’effondrement est déjà en marche, Malik Peiris craint que nous ayons déjà atteint un point de non-retour qui précède l’effondrement tandis que Rodolph Gozlan affirme avoir acquis une lucidité qui nous marginalise, parce que rares sont ceux qui veulent entendre que nous sommes montés sur le Titanic. N’est-il pas plus difficile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ? Ces propos peignent une fatalité alors que pourtant, la solution paraît relativement simple3 : sortir du capitalisme.

Que ces chercheurs.ses, engagé.e.s dans différentes missions subventionnées par l’Etat, ne remettent pas en cause ce système politicoéconomique n’est pas surprenant. Que Marie-Monique Robin l’ignore à ce point, elle dont l’engagement politique n’est plus à prouver et alors que son livre se drape derrière l’appellation d’essai, est une réelle déception.

Conclusion

Alors que le discours écologiste peine à se frayer un chemin à travers les forêts cérébrales de la population suisse, cette crise du Covid-19 peut être un moyen de conscientiser, de sentir dans sa propre chair les conséquences écologiques dramatiques du capitalisme. Cette pandémie est un moyen de comprendre la dimension mortifère de notre mode de vie. Il faut marteler ce message tant que possible : tant que nous ne sortons pas de cette caverne obscure qu’est le capitalisme dont la vocation est de tout détruire, à commencer par nos corps et nos existences, la déforestation, le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité continueront de brûler le tissu musculaire de notre planète, entraînant de facto de nouvelles pandémies. Depuis plus d’une année, nous avons révélé notre incapacité collective à gérer ce genre de crise sanitaire avec un virus dont le taux de létalité reste relativement bas. Qu’adviendront nos existences lorsque nous traverserons une prochaine pandémie où décéderont un dixième, un cinquième des personnes contaminées ? C’est là le cœur du sujet : plus que jamais, le capitalisme menace ce que nous avons de plus cher : notre propre vie et celle des gens que nous aimons.

  1. Notons par exemple cette déclaration récente d’Alain Berset sur Twitter https://twitter.com.
  2. Tous les faits et citations avancés dans cet article sont tirés du livre de Marie-Monique Robin.
  3. avec une once d’ironie

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