Vous le savez certainement, ce dimanche, la population, du moins pour la partie d’entre elle qui a le droit de vote, devra se prononcer sur la loi MPT (mesures policières de lutte contre le terrorisme). Quelque peu enfouie sous le flot des campagnes et du battage médiatique concernant les autres objets, elle n’en reste pas moins cruciale et ses conséquences pourront s’avérer catastrophiques. En plus d’être raciste, cette loi met à mal la liberté d’expression et les mesures qu’elle instaure pourront s’appliquer bien plus largement que ce qu’elle veut bien faire croire.
Issue du Conseil Fédéral (qui recommande donc bien évidemment de voter oui), elle a été largement approuvée par le Parlement et ce malgré les vives critiques de la communauté internationale dont celles de l’ONU et de la commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe ainsi que celles de tout un tas d’associations dont Amnesty, d’expert.e.s et professeur.e.s de droit.
Pourquoi tant d’inquiétude ?
Personne ne peut être opposé à des mesures visant à protéger les citoyens et citoyennes contre la menace terroriste. Il faut donc regarder plus loin que le simple énoncé pour comprendre ce qui coince, grince, hérisse les poils et fait froid dans le dos. On constate alors que la liste des choses pouvant être reprochées à cette loi est longue comme le bras : définitions volontairement vagues, discrimination de catégories précises de la population, mesures préventives pouvant être prononcées sur la base de simples soupçons, garanties de procédure bafouées, violations des droits de l’homme et des droits de l’enfant, etc. Attardons-nous sur quelques-unes de ces pépites indésirables.
Qu’est-ce qui cloche d’un point de vue procédural ?
La LMPT donnera un pouvoir arbitraire à la Police Fédérale qui pourra désigner des personnes comme susceptibles de commettre des actes terroristes et ainsi prendre à leur égard des mesures coercitives. Il sera possible de contraindre les individus (dès 12 ans) à participer à des entretiens ; à comparaître à intervalles réguliers ; à restreindre leurs contacts ; à être assigné.e.x.s à résidence avec bracelet électronique jusqu’à 9 mois (dès l’âge de 15 ans) ; à ne pas quitter le territoire et à rester dans une zone géographique déterminée, et ce sans aucun contrôle judiciaire. C’est là où se cache le plus gros souci : au niveau de la séparation des pouvoirs, pilier de l’Etat de droit. La LMPT relève du domaine administratif et pourra donc s’affranchir des garanties pénales. Les personnes qui veulent mettre en place des mesures liberticides pourront le faire sans contrôle. Et elles devront elles-mêmes juger de la conformité de ces mesures avec les droits fondamentaux. Ne serait-ce pas placer un peu trop de confiance en une institution peu encline à l’autocritique ?
De plus, avec cette législation, ces outils de contrainte pourront être utilisés avant même qu’une infraction ait été préparée, tentée ou commise. On passe d’une logique plutôt répressive où l’on punit une personne lorsqu’elle a commis une infraction pénale, à une logique préventive où la Police fédérale est légitimée à intervenir sur la base d’une simple supposition, d’un pronostic concernant un risque potentiel futur. Cela revient à reléguer au second plan un des grands principe du droit pénal suisse, si ce n’est LE grand principe : la présomption d’innocence. Mais cet arsenal existe déjà en droit suisse.
À quoi sert donc cette loi ?
Le terrorisme, le vrai, exige que des mesures soient prises pour le contrecarrer. Même préventivement. Et si l’on regarde la jurisprudence relative à l’art.260ter du Code pénale et 2 al.1 de la Loi fédérale interdisant les groupes Etat islamique et Al-Qaïda, on peut constater qu’en Suisse c’est déjà possible. Des actes intervenant bien en amont de la commission d’une infraction comme le fait d’entrer en contact avec des membres d’un groupe djihadiste d’agir en suisse en tant que coordinateur ou logisticien, le fait de quitter la Syrie pour venir en Suisse avec comme objectif d’agir pour le groupe en Europe, de partager, publier, télécharger sur les réseaux de la propagande, des images de massacre, etc. sont condamnables. Nul besoin d’en rajouter. Et surtout pas au mépris de tout et n’importe quoi. Ce n’est pas sans raison que la communauté internationale a vivement réagi à l’affront que fait cette loi aux Droit humains. En permettant des restrictions importantes aux droits fondamentaux et en criminalisant les enfants indistinctement des adultes (les mesures prévues peuvent être appliquées dès 12 ans à l’exception de l’assignation à résidence, dès 15 ans) c’est la convention européenne relative aux droits de l’enfant et la convention européenne des droits de l’Homme qui se trouvent violées par cet objet.
Pourquoi tant de haine ?
Plus de pouvoir dans les mains de la Police fédérale. Il n’est plus à préciser que cette institution est raciste. Ce sont donc les musulmanExs qui sont viséExs en première intention, et ce dans une atmosphère islamophobe évidente. Ainsi, le profilage racial, le délit de faciès et autres joyeusetés policières discriminatoires pourront continuer à s’épanouir et ce avec l’aval passif de la population.
Initialement prévues pour permettre la vie en société et pour régler des problématiques globales, les lois sont aujourd’hui complètement détournées pour en faire des campagnes idéologiques. Et pour cette campagne-là, celle de la peur de l’étranger, le climat est plus que propice.
C’est quoi cette définition merdique ?
Mais ne soyons pas naïf-ves, cette loi ne vise pas seulement les personnes racisées, trop colorées ou trop voilées pour la droite de l’hémicycle. Elle ouvre un nouveau champ à une surveillance généralisée bien plus large sous couvert de sécurité. Il règne un flou immense autour de la définition de l’acte terroriste qui laisse aux dérives le loisir de s’installer confortablement. Étant définies comme des « actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par des infractions graves ou la menace de telles infractions ou par la propagation de la crainte», d’autres formes d’activisme politique comme les mouvements féministes ou climat peuvent aussi y être inclus. En se plaçant en amont de la commission d’une infraction pénale et en exigeant seulement la présence d’indices qu’un individu pourrait un jour commettre des activités terroristes, elle incite la Police à se prêter au jeu du pronostic de dangerosité. Même le Conseil fédéral considère ce processus comme « entaché d’incertitude »1. Ainsi, quasiment n’importe qui sur la base de n’importe quoi pourra être désigné comme potentiel terroriste et donc être soumis à ces mesures. La porosité de ces définitions n’est pas due à la maladresse de nos dirigeant.e.s. Il y a bien assez de juristes dans ces sphères pour se rendre compte que des contours si flous laissent une trop grande marge d’interprétation et que cela ouvre la porte à toutes sortes d’abus. Et inutile de sous-estimer la police dans ce domaine. En matière d’abus, on peut lui faire confiance.
Et ces dérives sont déjà possibles sous le droit actuel. Il y a quelques semaines, des militant.e.x.s de la grève du climat ont été perquisitionné.e.x.s à leur domicile pour avoir lancé un appel à la grève militaire au printemps dernier. Au moment des faits, le Conseil fédéral avait renoncé à dénoncer les militant.e.x.s au nom de la liberté d’expression. Mais c’était sans compter sur la frustration de Jean-Luc Addor, figure de l’UDC valaisan se sentant bien seul sur le banc des accusés2. Lui n’a pas lâché l’affaire et s’est adressé au Ministère public de la Confédération qui a ouvert une procédure en février 2021. La répression pour une publication datant d’une année a été totalement disproportionnée : une demi douzaine de policiers qui débarquent au domicile des grévistes, des heures d’interrogatoire sans la présence de leur avocat, saisie des téléphones, ordinateurs et tablettes, etc. Il est inquiétant de voir des mesures de contrainte utilisées à des fins politiques déjà sous le droit actuel. Et on veut donner encore plus de légitimité à ça ?
Suis-je un.e terroriste ?
La thématique du terrorisme n’est bien sûr pas négligeable. Mais quel danger nous guette plus qu’une planète à feu et à sang ? Militer contre ces ravages, marcher dans la rue en brandissant des pancartes, désobéir, promouvoir les Assemblées citoyennes ou d’autres façons de prendre des décisions, expérimenter des alternatives à la vie qu’on nous impose, proposer des repas en prix libre cuisinés avec de la nourriture récupérée, n’est-ce pas là des tentatives d’influencer ou de modifier l’ordre étatique ? Y’a-t-il plus subversif aujourd’hui que partager des moments sociaux en dehors de tout lien marchand et ce dans le domaine public ? Et qu’en est-il de protéger une colline face à la folie d’une multinationale sans scrupule ? Porter du violet dans la rue et dénoncer les rapports de domination et d’oppression ou créer des brèches, des réseaux au-delà des frontières tracées à la main il y a deux siècles, c’est ça être terroriste ? Serons-nous déclaré.e.s coupables de lutter pour le Vivant, contre ce monde triste, pour l’égalité, pour le droit à un avenir, contre les injustices sociales ?
La classe dirigeante commence à trembler face à toutes ces mobilisations sociales et se prépare subtilement à une nouvelle forme d’autoritarisme à l’exemple de ce qui se fait dans toute l’Europe.
Alors que personne ne s’inquiète, les outils répressifs existent déjà, aucun besoin d’en rajouter une couche.
Les musulman.e.x.s seront les premier-èr.e.x.s victimes des futurs profilages et autres mesures. Et tous les autres mouvements sociaux contestataires suivront de près. Le terrain sera alors propice à nous faire taire. Des multiples voix étouffées dans l’œuf. Pour toutes ces raisons et pour notre droit à contester l’ordre établi, déposez à temps votre bulletin de vote (si vous en avez un bien sûr) et parlez-en autour de vous. Ne laissons pas un Etat policier et fouineur neutraliser nos idéaux et nos utopies. Ne laissons pas une chance à cet avenir sous surveillance, si désirable pour nos ennemi.e.s, de passer le cap de l’acceptation démocratique.
- CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme, FF 2019 4541, p. 4573.
- Pour rappel, Jean-Luc Addor a été condamné pour avoir écrit « On en redemande ! » sur ses comptes Facebook et Twitter à propos d’une fusillade devant une mosquée de Saint-Gall en 2014.