Le 14 septembre, soit moins d’une semaine avant la rentrée universitaire, le rectorat de l’Université de Fribourg annonce que seul.es les étudiant.x.es titulaires d’un certificat sanitaire pourront suivre l’enseignement en présentiel, accéder aux bibliothèques et aux salles d’études. Ce premier volet sur la rentrée universitaire s’intéresse au mouvement estudiantin qui s’est rapidement formé à Fribourg face à l’extension du certificat sanitaire dans le monde universitaire.
Le 30 août 2021, le président de SwissUniversities prend la parole dans les colonnes de 24 Heures1 et clame qu’il est impossible pour les universités suisses d’imposer le certificat sanitaire. Moins de deux semaines plus tard, c’est la douche froide pour de nombreux.es étudiant.x.es qui n’ont toujours pas reçu la première dose : interdiction formelle de suivre les cours en présentiel, et donc d’accéder à des conditions d’apprentissage satisfaisantes, impossibilité de rentrer dans les bibliothèques universitaires et les salles d’études, impossibilité de socialiser, de rencontrer leurs nouvelleaux camarades. La pilule, pour certain.x.es, peine à passer.
Sans faire l’éloge du vaccin, ou inversement, c’est le timing de cette décision qui interpelle. Le nombre de nouvelles hospitalisations est en baisse depuis un mois, le nombre de nouveaux cas quotidiens chute également, la situation dans les hôpitaux (et notamment celui de Fribourg) semble relativement stable2 : pourtant, les responsables politiques (j’intègre ici les rectorats des différentes universités) ont décidé de durcir le ton contre les étudiant.x.es. Ces mêmes étudiant.x.es qui ont joué le jeu depuis trois semestres, acceptant sans broncher de sacrifier une partie importante de leur vie sociale sur l’autel de la collectivité.
Rapidement, un vent de colère souffle sur le milieu estudiantin. Reste encore à traduire cette colère dans le champ politique avec justesse et intelligence. Plongeons ensemble dans l’univers des étudiants qui résistent, mouvement qui s’est formé dans plusieurs villes suisses, dont Fribourg.
Un mouvement forcément hétérogène
Regrouper sur un groupe Telegram en quelques jours plusieurs centaines de personnes de tout horizon sur un sujet aussi compliqué politiquement que la gestion de la crise du Covid a logiquement fait naître un mouvement très hétérogène. J’apprends rapidement que le mouvement Les étudiants résistent (LER) est en fait né à Lausanne et que le groupe fribourgeois n’est que l’électron (si peu libre) d’un noyau national. Sur ce groupe, les messages fusent, les idées d’action éclosent, les partages d’informations (souvent malheureux) se multiplient : pourtant, face à chaque proposition, un certain S. réplique qu’aucune décision ne sera prise avant la plénière prévue vendredi après-midi, au Domino. Ce coup de force autoritaire n’est que le premier d’une longue série : les décisions viennent d’en haut, et c’est comme ça.
Ces messages qui défilent à toute allure sont un bon moyen de prendre le pouls de ce groupe hétéroclite. Manifestement, personne ne sait précisément contre quoi lutte ce mouvement (est-ce la fin du certificat sanitaire à l’uni et dans les HES ? Ou la fin du certificat dans la société tout entière ? Ou encore la mise en place de tests gratuits pour les étudiant.x.es ? Tout cela reste assez flou). Il n’y a ni revendications explicites, ni charte explicative, ni simple description du mouvement, de son origine ou de ses aspirations. Ce qui semble lier toutes ces personnes, ce sont des affects négatifs puissants qui les remuent, et non un projet politique et idéologique commun. De ma position, ce mouvement ressemble donc à un groupement hétérogène de personnes souvent effrayées, inquiètes, en colères et sans doute, pour beaucoup, isolées. Reste désormais à déterminer la traduction politique de ces affects.
Une posture légaliste
Les arguments distillés sur le groupe insistent particulièrement sur la question légale de la mise en œuvre de ce certificat sanitaire à l’université. Ainsi, et malgré les tentatives de certain.es étudiant.x.es en droit d’infirmer cette pensée partagée par la majorité, les questions éthiques, morales et politiques sont placées aux oubliettes. Décidément, ce mouvement commence à sentir le souffre.
Ces personnes qui s’offusquent contre cette discrimination contre les non-vacciné.es oublient peut-être un peu vite, en mobilisant l’argument légal, que le droit est un vecteur de discriminations depuis la nuit des temps, en plus d’être un des instruments favoris de la classe bourgeoise pour préserver l’ordre social tel qu’il est établi. Croire pouvoir gagner sur ce terrain me semble être sinon une folie, en tout cas une erreur stratégique, surtout quand on connaît le consensus juridique sur la légalité de ce certificat sanitaire.
Vendredi après-midi, parc du Domino. Nous sommes une trentaine, sur les presque trois cents du groupe Telegram. Nous sommes tous.tes.x assis.es par terre, à une exception près : S. se tient debout, les mains derrière le dos. Il orchestre la discussion et distribue la parole lorsqu’il ne la monopolise pas.
Je prends rapidement conscience que tous ces individus pratiquent sur le groupe Telegram une forme d’auto-censure relativement efficace. Toutefois, en présentiel et entre eux, les masques tombent. Ils parlent sixième, septième dose. Ils parlent de supercherie, de mensonge orchestré par le Conseil Fédéral. Ils parlent de camp de non-vacciné.es pour parler des quarantaines, d’apartheid. La Suisse, c’est pire que l’URSS, rigolent certains. Concernant la future votation sur la loi Covid, elle sera de toute manière truquée. La liste est sans fin.
Je comprends que beaucoup des personnes présentes luttent depuis plusieurs mois contre les mesures sanitaires imposées par le Conseil Fédéral. L’idée que je me faisais de ce mouvement, un mouvement estudiantin de gauche formé en quelques jours, en pâtit. Clou du spectacle, S. annonce fièrement une collaboration avec les Amis de la Constitution, mouvement présenté comme apolitique (comme LER par ailleurs), sans même demander l’avis des personnes ici présentes. Mes rêves de barricades devant Miséricorde prennent cruellement fin.
Cette réunion me donne la possibilité de parler avec certain.es de ces « militant.x.es ». Je rencontre des personnes socialement isolées, extrêmement stressées (une me dit ne plus dormir depuis une semaine) et visiblement politisées sur Internet. Le faible échantillon que j’ai rencontré ne me permet pas de satisfaire pleinement ma curiosité sociologique. J’apprends toutefois l’existence d’un autre groupe Telegram, un forum de discussion non-modéré (officiellement du moins).
Sur ce second groupe, les utilisateur.ices ne se donnent pas la peine de « censurer » leurs pensées, et ce que je découvre ne me surprend plus. Les liens partagés transpirent une vision absolument erronée de la réalité. Les pensées fantasmagoriques se multiplient, la haine des médias, des politiques, des médecins et même des antifas se propage, les faux chiffres pullulent. Manifestement, Les étudiants résistent est un mouvement conservateur à l’haleine fascisante.
Un mouvement à l’haleine fascisante
Haleine fascisante, le terme est pesé. Il me semble que nous avons affaire majoritairement à des personnes peu politisées qui usent d’une rhétorique, d’un vocabulaire, d’un système de pensée dangereux.
La manière dont ce mouvement idéalise le droit et la constitution suisse, les plaçant comme le socle indépassable d’une société, m’apparaît alarmante. Car considérer la loi (écrite principalement il y a tant d’années) comme principale, voire unique garante de l’ordre me semble être une négation de la forme mouvante de nos systèmes politiques, et donc une porte ouverte vers des systèmes figés dangereux. Cette articulation de leurs arguments autour du noyau légal s’agrémente d’une rhétorique nationaliste de la Constitution, des Pères Fondateurs de la Suisse qui auraient protégé les libertés du peuple face au méchant Etat libéral.
En plus, ce mouvement présente notre société d’une manière manichéenne avec d’un côté celleux qui ont accepté de se faire vacciner, les endormis, les inconscients guidés par une élite trompeuse, menteuse et manipulatrice, et de l’autre elleux-mêmes, les personnes éveillées, conscientes. Cette rhétorique d’une élite parasite et d’une minorité prétendant apporter la vérité au peuple et ce discours traçant l’esquisse d’une autre réalité existante, cachés par cette élite, connaît des ressemblances historiques peu enviables. Bien sûr, nous pourrions me rétorquer que la rhétorique marxiste, la luttes des classes, reproduit ce schéma. Toutefois, et la différence est importante, la théorie marxiste s’appuie sur des faits incontestables, elle s’est construite sur le Réel. Cette fuite du Réel permanente des étudiants résistent (iels ne s’appuient que sur des théories franchement fumeuses) est inquiétante, et laisse une nouvelle fois la porte ouverte au pire.
Ces deux perspectives ne sont pas exhaustives. Nous aurions encore pu parler de cette rhétorique de la liberté (comment ne pas sourire face à cette manifestation à Lausanne où les personnes scandent « liberté, liberté, liberté » ?), de ce vocabulaire qui cache peut-être un inconscient fasciste (camp de non-vaccinés, apartheid, …), de ce rapport à la hiérarchie qu’entretient ce mouvement ou encore de cette nouvelle forme d’eugénisme, ou de darwinisme où ne survivent que les plus fort.es.x, celleux qui ont le meilleur système immunitaire. Le Silure écrit très justement, sur ces mouvements qui manifestent contre les mesures sanitaires prises par le Conseil Fédéral : « On peut les considérer comme la deuxième branche de l’arbre néolibéral puisqu’en plus de n’avoir aucun problème avec la domination en général, ces groupes revendiquent un « droit d’ignorer l’Etat », tel que l’avait formulé le théoricien racialiste Herbert Spencer il y a plus d’un siècle. On est en plein dans une vision conservatrice-individualiste de la société, celle d’un individu-roi qui estime incarner le peuple à lui tout seul. Ces libéraux-spencéristes vampirisent toute l’opposition au Conseil fédéral, leur propagande est à gerber et il est clair que ces gens-là seraient les premiers à nous réprimer s’ils se retrouvaient un jour au pouvoir (ils le sont d’ailleurs en partie quand on entend les discours libéraux-eugénistes d’Ueli Maurer (UDC) sur la façon de réagir à la pandémie)3. ».
D’ailleurs, la décision de plusieurs mouvements antifas lausannois de contre-manifester face aux étudiants qui résistent est une flèche de plus à mon arc qui me permet d’écrire ces mots sereinement : c’est un mouvement à l’haleine fascisante qu’il faut arrêter à tout prix. En effet, l’actualité (la police qui harcèle les différents mouvements antifas et qui laisse tranquille les mouvements d’extrême droite, une banalisation dans l’espace médiatique et politique de cette même extrême droite, un chaos social et économique à venir, une bourgeoisie autoritaire qui ne cache plus ses dents, …) nous impose d’éteindre les premières étincelles fascisantes avant que le feu ne prenne. Parce que nous ne pouvons compter que sur nous.
N’oublions jamais que la lutte contre le fascisme est une lutte de tous les instants.
Quid de la rentrée universitaire ? Que penser de ce certificat sanitaire ? Est-ce qu’un mouvement anti-certificat de gauche est-il enviable ? Nous en parlerons dans le second volet !
Cet article fait partie d’une analyse en deux volets sur la lutte anti-pass sanitaire.
voir série- Sur le mouvement estudiantin qui s’oppose au certificat sanitaire
- Contre le certificat sanitaire
- https://www.24heures.ch/
- Cela ne veut évidemment pas dire que la pandémie ne va pas connaître un nouveau rebond
- https://renverse.co/