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Une soirée à brûler le patriarcat

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Jeudi soir, lors de la journée de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le collectif Grève féministe Fribourg, accompagné par Equopp, MILLE SEPT SANS, Programme Grisélidis Fribourg et Solidarité Femmes Fribourg, a organisé une journée de rassemblement à la place Georgette-Pythonne. Plusieurs centaines de personnes ont pu, le temps d’une soirée, brûler le patriarcat, à défaut de pouvoir jeter dans les flammes ceux qui l’incarnent.


Le patriarcat ne brûlera pas tout seul. Nous le brûlerons ! Devant quelques centaines de personnes rassemblées à la place Georgette-Pythonne, plusieurs organisations, collectifs et associations féministes de Fribourg prennent la parole. Leurs discours sont puissants, autant révoltés que révoltants. Chaque phrase est un coup de pelle creusant, dans le jardin de nos utopies, la tombe du patriarcat. Chaque chiffre, qui dessine l’ombre effrayante des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes et aux minorités de genre, un clou de plus sur son cercueil.

Les chiffres, les voilà. Quelques-uns, du moins. Impossible toutefois de réduire les effets dramatiques du système de domination masculine à quelques froides statistiques. Selon une enquête publiée en 20191, 22% des femmes en Suisse ont déjà subi des actes sexuels non consentis. Parmi celles-ci, près de la moitié (49%) restent silencieuses, tandis que seulement 8% portent plainte auprès de la police. Elles sont 40% à craindre d’êtres victimes de harcèlement sexuel dans leur vie quotidienne, et plus de la moitié des femmes en Suisse (59%) ont déjà été victimes de harcèlement sous forme de contacts, d’étreintes ou de baisers non désirés.

Ces estimations le prouvent : nous ne sommes pas face à des actes individuels et isolés, mais face à un système, le système patriarcal et sexiste, qui organise les violences sexistes et sexuelles, qui leur tisse un environnement social les rendant possibles, normales, parfois même légitimes. C’est contre ce système patriarcal et sexiste, dont les racines semblent emmêlées à celles du capitalisme et du système raciste, que nous luttons.

Revenons à la si-bien nommée place Georgette-Pythonne. Le ciel, tombé dans les bras mouvants de la nuit, laisse couler quelques larmes. Le collectif Grève féministe Fribourg lance son action contre les féminicides. Depuis le début de l’année, ce ne sont pas moins de 25 suissesses qui sont tombées sous les coups de leur conjoint. Ce chiffre glace le sang.

En hommage, 25 militantes se tiennent debout face à nous, une lumière à la main, la mine fermée. Derrière elles, une voix énumère le nom des femmes assassinées, et leur domicile. A chaque prénom qui transperce le silence glacial, c’est une lumière qui s’éteint et un corps qui s’effondre, inerte, sur le sol froid. Nous ne vous oublions pas.

Une minute de silence. Des centaines de poings se lèvent vers le ciel. Au-dessus de la Suisse, ce sont 25 nouvelles étoiles qui brillent désormais dans la nuit.

Quelques mètres plus loin, un brasero contient un immense feu. Ses flammes violettes déchirent symboliquement le patriarcat, le transformant en cendres encore chaud. Le collectif Grève féministe Fribourg jette dans sa bouche enflammée différents symboles en carton. Une fleur, en référence à l’abject courrier des lecteurs publié par la liberté au début du printemps. Un soutien-gorge, en soutien à la collégienne de Gambach qui avait reçu des remontrances de la part d’un enseignant pour ne pas en avoir porté, de soutien-gorge. Une pilule de GHB, qui fait écho aux derniers scandales dans certaines boîtes de nuit suisses où de nombreuses femmes se sont faites droguées à leur insu. Notons que sur ces affaires, la police, fidèle à elle-même, continue d’appeler au calme, tout en remettant en question la parole de ces femmes. L’envie de vomir remonte.  

Chacune est ensuite libre de faire brûler des mots, des objets ou autres, si possible pas des politiciens ou des hommes de pouvoir complices de ce système de domination. Le rassemblement se prolonge ensuite autour de ce feu qui réchauffe les corps et les cœurs. En parallèle, le collectif Grève féministe Fribourg récolte bien plus que les mille francs escomptés grâce à sa collecte solidaire. Cette somme d’argent sera reversée à Solidarité Femmes et Grisélidis. Solidarité Femmes est une association qui s’engage depuis 30 ans contre toute sorte de violence faite aux femmes. Elle offre de l’écoute, des informations et du soutien aux personnes concernées et dispose d’une structure d’accueil pour les femmes et leurs enfants ayant besoin de sécurité. Grisélidis œuvre pour la prévention et la promotion de la santé auprès des professionnelles du sexe et des personnes toxicodépendantes. L’occasion de jeter un peu de lumière sur ces collectifs qui abattent, dans l’ombre, un travail exceptionnel et tellement nécessaire.

Cette journée d’action, de rassemblement et de visibilisation des violences sexistes et sexuelles est un francs succès, sur toute la ligne. Le mérite en revient évidemment d’abord aux organisatrices.x. Elle n’atténue toutefois pas le sentiment de révolte et de dégoût qui découle de la situation des femmes et des minorités de genre en Suisse. Comment nous sommes-nous habitué.x.es à tolérer l’intolérable ?

Le camp d’en face, pas simplement coupable d’inactions mais également d’actions renforçant la domination masculine dans notre société, est protéiforme. Sa frange la plus méprisable multiplie les provocations haineuses, misogynes et sexistes. La dernière en date étant ce tag absolument dégueulasse à proximité de Bloom2. Mais n’oublions pas nos ennemis en costards, qui masquent leur sexisme et leur misogynie derrière un large sourire et une langue de bois. N’est-il pas venu le temps d’y mettre le feu, à ces langues de bois insupportables ?

Les militantes.x féministes, entraînées depuis tant d’années dans une lutte acharnée, sont des exemples pour tous les autres combats politiques. N’oublions jamais qu’en maintenant ce système d’oppression, d’exclusion et de domination des femmes, les défenseurs du statut quo détiennent le monopole de la violence, et que ce terme ne saurait définir celles qui tentent d’y mettre fin.

Le monde de Demain sera féministe, ou ne sera pas. Il ne s’agit pas d’un simple slogan qu’on balance ici et là, mais d’une conviction profonde : notre boussole militante est autant violette qu’elle est verte, rouge et noire.

Un jour, le feu prendra. Ce monde patriarcal brûlera. Et enfin, nous sortirons de notre caverne et notre entrerons dans l’Histoire.

  1. https://www.amnesty.ch
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