Une scène insolite s’est produite hier soir dans la région fribourgeoise. Un automobiliste qu’on nommera Mouloud*, a pris d’assaut un food-truck spécialisé dans la vente de produits à base de graines. Le braquage a été filmé par les caméras de surveillance d’une multinationale multi-condamnée qu’on ne nommera pas.
*= prénom tiré au sort
Il est à peu près 21h17 lorsque qu’une Tesla Model S immatriculée dans le canton de Glaris fait irruption sur la place George-Python. Cette voiture électrique de grande puissance a une autonomie estimée à près de 640km pour 1020 chevaux. Sur la vidéo de surveillance disponible en fin d’article après avoir visionné 4 pubs, nous pouvons clairement voir que l’homme porte une casquette noire et qu’il avait donc prémédité son acte.
Le vendeur de graines, surpris par cette situation désagréable et sous la menace d’une arme blanche de type tranchante, n’essaiera pas de négocier et donnera le contenu de sa caisse ainsi que quelques chèques REKA à son assaillant.
J’ai vraiment eu peur, je n’ai pas cherché à comprendre et j’ai donné l’argent. Cet homme avait l’air très énervé !
le vendeur écolo
Dépêchés sur les lieux extrêmement rapidement, les gendarmes auraient offert un café à la victime. La police recherche en ce moment toute personne en possession d’une voiture de course et pouvant s’appeler Mouloud.
LA VIDÉO
Trève de plaisanterie
Oui, moi aussi j’ai déjà exhumé un journal 20 Minutes de sa caissette par appétit morbide. Les gros titres de ce torchon ressemblent souvent à ceux du Nouveau Détective, dans leur noirceur et leur voyeurisme. Dignes du sable des amphithéâtres romains, les pages de ces journaux absorbent le sang qui s’échappe de leurs sordides histoires. Et ça fait vendre.
Hier, en France, vers la fin du 19e siècle, des fait-diversier allaient récolter les nouvelles dans les commissariats et les publiaient dans le but d’atteindre directement les sphères de la classe populaire, pour écouler davantage de journaux.
Aujourd’hui encore, les grands groupes journalistiques sont prêts à tout pour agrandir leur lectorat. Et ce n’est pas vraiment l’utilisation du fait-divers qui questionne, mais plutôt la manière de le faire et ses conséquences sur l’esprit critique de chacun et chacune.
Le fait-divers fait diversion.
Pierre Bourdieu
Camés au spectacle, nous recherchons chaque jour notre dose de mépris ou d’empathie dans les tabloïds de notre région. Nous nous sentons davantage impacté·es par un carambolage sur l’autoroute A1 que par une sécheresse en Espagne, car finalement, on n’a pas de vacances de prévu pour tout de suite. Et puis cet homme qui séquestrait sa fille dans sa cave, on aimerait bien savoir s’il allait faire ses courses dans la même Migros que nous. C’est normal non ? On s’en fout des élections, on veut voir Will Smith.
La force du fait-divers est sa capacité à détourner totalement l’attention du citoyen et de la citoyenne des informations qui pourraient leur permettre de se forger un avis politique et de nourrir l’envie pour elleux d’exercer leurs droits démocratiques.
Mais là où le chien écrasé (nom argotique du fait-divers) devient dangereux, c’est dans l’imaginaire qu’il crée chez les lecteurices. S’agissant, comme le disait Roland Barthes, d’une information totale dans la façon dont il est traité, le contexte en reste immensément flou. Pourquoi a-t-il tué sa femme ? Pourquoi a-t-elle abandonné son bébé ? Pourquoi a-t-il braqué un food-truck ?
Bien entendu, les réponses n’existent pas toujours, mais les contours peuvent en être crayonnés. Derrière ces cas isolés se cachent des dysfonctionnements systémiques. Le patriarcat, le capitalisme, le racisme sont autant de facteurs qui poussent les plus démuni·es à commettre ces actes et ne devenir que des bêtes de foire sur papier glacé. Nous avons besoin de savoir que notre entourage s’embrase, mais nous avons surtout besoin de savoir d’où venait l’étincelle.
Mouloud, enfuis-toi !
Tu ne seras peut-être jamais attrapé, jamais jugé. Mais sache que ton procès a déjà lieu chez le marchand de journaux.
tous les mêmes ces Mouloud