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La politique migratoire suisse tue

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Ali Reza, demandeur d’asile afghan, a mis fin à ses jours à Genève le 30 novembre. Il venait d’apprendre que le TAF (tribunal administratif fédéral) confirmait la décision du SEM (secrétariat d’Etat à la migration) de refuser sa demande d’asile, actant un nouvel exil forcé en Grèce. Le jeune homme de 18 ans était resté plus d’un an dans un camp de réfugiés grec, où il avait été victime comme tant d’autres de conditions d’existence inhumaines et de multiples violences. Cette période troublée, qu’il qualifiait de trou noir, n’a cessé d’hanter ses nuits. En écartant volontairement des rapports médicaux prouvant la grande vulnérabilité d’Ali Reza et un risque de suicide important en cas de refus de cette demande d’asile, l’Etat suisse (par l’intermédiaire du TAF) est directement responsable de cette mort prématurée. Une de plus, mais sans doute pas encore celle de trop.


Plutôt se donner la mort, que de retourner en enfer. Voilà, en filigrane, le message symbolique du suicide d’Ali Reza. La lettre, qu’il a laissée sur son lit avant de mettre fin à ses jours, ainsi que ses derniers mots (« les pouvoirs ne font pas attention à notre danse »), ne laissent guère place au doute. Ils jettent une lumière crue sur la politique migratoire inhumaine de notre pays. L’Etat suisse n’a pas seulement du sang sur les mains. Il baigne avec indifférence dans une mare pourpre et chaude. Nous n’allons pas revenir plus en profondeur sur les contours de cette histoire dramatique : les articles (gratuits) du Blick1 et du Courrier2 semblent parfaitement faire l’affaire. Nous préférons, quant à nous, sortir la sulfateuse.

Ce que dit d’abord le suicide d’Ali Reza, c’est que l’Etat suisse tue. Mario Gattiker, secrétaire d’Etat à la migration3, prend des décisions qui tuent. Le tribunal administratif fédéral confirme ces décisions qui tuent. L’Etat suisse et son monopole de la violence légitime tue. Il ne s’agit pas d’une énième envolée lyrique ou métaphorique, mais d’un constat implacable. Barricadé derrière ses bras armés, l’Etat organise (sans doute de manière inconsciente) l’exclusion et la mise à mort silencieuse de corps qu’il juge étrangers à son écosystème. Il faut imprimer dans nos crânes que les morts de Nzoy, d’Hervé, de Mike Ben Peter, de Lamine Fatty, d’Ali Reza et de tant d’autres avant eux ne sont pas des dérapages, des erreurs. Ces meurtres sont le fruit de pratiques et de politiques migratoires racistes, provoquées, encouragées et légitimées par des institutions étatiques. Face à tout ce sang, nos cœurs sont saturés. Ils débordent. De rage, de colère et de haine. Le temps des remises en contexte, des circonstances atténuantes, des légitimes défenses est révolu. Et seule la révolution pansera nos plaies. Ni oubli, ni pardon. Seulement leur sang.

L’Etat suisse tue, mais pas sans notre douce complicité. Nos apathies, nos indifférences, nos inactions sont ses alliées silencieuses. Elles aussi, tuent. Les miennes, les tiennes. Dans cette guerre que nous devons mener contre l’Etat et ses institutions, peut-être que la bataille la plus importante n’a pas lieu dans la rue, mais dans nos ventres. Les forces capitalistes se sont approprié nos corps4, nos désirs, nos affects avec leurs obsessions obscènes, avec leurs injonctions permanentes de productivité, de valorisations matérielles, de mise en avant de notre propre égo, de mises à distance de nos sentiments. Face à ce béton gris et amorphe que ces forces capitalistes ont coulé dans nos estomacs, il faut ériger des barricades, planter de nouvelles empathies, de nouvelles sensibilités et les arroser de larmes de joies, de rages et de tristesses. Bien sûr, entre l’affaiblissement de nos capacités affectives, les brûlures de nos tissus sociaux, l’atomisation de nos sociétés et l’effarante vitesse du monde et des écrans qui sapent nos révoltes internes (ok boomer), le cadre environnemental de ces nouvelles cultures n’est pas idéal.

Parallèlement à cette permaculture d’affects qui fleurit dans nos corps, toute action visant à mettre hors d’état de nuire la machine répressive et meurtrière de l’Etat est souhaitable. Face à ce monstre froid qui ne répond plus aux cadres légaux qu’il s’est lui-même attribués et qui ne respecte plus les principes d’humanité élémentaires, notre lutte contre lui, et ce peu importe les formes qu’elle prend, est juste. Contre leurs légitimes défenses, nos offensives seront toujours plus légitimes. Contre leurs violences aux multiples visages, dont de nombreux masqués, nos actes de sabotages, de déprédation sont légitimes. Menacer ceux qui menacent nos amixes, ceux qui les répriment et qui les tuent, menacer ceux qui exploitent le Vivant et nos corps est plus qu’une option. Cela doit devenir notre priorité.

La non-violence est un drap moral auquel, face à l’ampleur des crises existantes et des souffrances qu’elles impliquent, nous ne pouvons plus touxtes prétendre. Que certains mouvements continuent à la brandir comme un drapeau blanc est important. Que d’autres décident de le tremper dans le rouge de leur sang et dans le noir de nos colère est aussi légitime que nécessaire.


  1. https://www.blick.ch/fr
  2. https://lecourrier.ch
  3. D’ailleurs fraîchement récompensé par l’Université de Fribourg (pour en savoir plus, cliquez ici)
  4. Sans même parler spécifiquement des femmes et de toute la pensée qui lie le capitalisme et le système patriarcal.

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