Le 30 septembre 2022, Ueli Maurer annonçait sa démission du Conseil Fédéral dans tous les journaux suisses. La course commençait peu après pour que son siège trouve preneureuse parfait·e. En lice finale, deux bonshommes de l’UDC. Le premier, Albert Rösti, a 55 ans, est de droite, veut gouverner des gens, et a été président de l’UDC pendant 4 ans. Le deuxième, Hans-Ueli Vogt, a 54 ans, est de droite, veut gouverner des gens, et a la particularité d’être « ouvertement » homosexuel. Il y avait bien également Michèle Blöchlinger, 54 ans, de droite, voulant gouverner des gens, fondatrice de l’UDC Nidwald, et avec la particularité d’être une femme. Mais sa double nationalité aura eu raison de sa candidature.
Peu après l’annonce de démission de notre cher Ueli, apparaissait, en plus des portraits de tous les UDC de Suisse Alémanique sur nos affiches et nos écrans, un poème, porté par les milieux féministes. Inspiré du poème « I want a dyke for president » de Zoe Leonard en 1992, « je veux une gouine comme Conseillère fédérale » a fait le tour des organisations militantes féministes suisses romandes.
« Je veux une gouine comme Conseillère fédérale.
Je veux une Conseillère qui vit sans clim, qui a fait la queue pour des sacs de bouffe pendant le covid.
Je veux une Conseillère qui a déjà attendu à l’hôpital et à l’ORP, qui a été chômeuse, rentière AI, licenciée économique, harcelée sexuellement, menacée à cause de son homosexualité, traitée de folle, expulsée.
Je veux une Conseillère fédérale qui a déjà passé la nuit au trou.
Je veux une Conseillère qu’on a déjà essayé de convertir sous couvert de thérapie pour avoir aimé et désiré une autre femme.
Je veux qu’elle soit grosse.
Je veux qu’elle ait marché avec nous les 14 juin.
Je veux que la prochaine Conseillère fédérale soit une femme noire.
Je veux qu’elle soit trans, qu’elle ait fait un procès à son mari, à son patron.
Je veux qu’elle ait pratiqué la désobéissance civile, dormi à la ZAD de la Colline.
Je veux qu’elle ait déjà hurlé sa colère dans la rue ou toute seule dans sa chambre.
Je veux que ses amies soient des travailleuses du sexe.
Je veux une Conseillère fédérale qui sait ce que c’est, le cumul des discriminations.
Je veux qu’elle mette la misère aux Guy et aux Ueli.
Bon, aux Alain aussi.»
Les femmes qui gouvernent, cette perspective salvatrice de la garde de nos acquis sociaux, l’incarnation de la dernière barrière gouvernementale contre les oppressions, l’espérance d’un monde plus doux, attentif à autrui, aimant, juste et bienheureux grâce à la nature maternelle et maternante des femmes. Un excellent programme somme toute.
Malheureusement, il s’avère que les femmes ne gouvernent pas de manière plus juste parce qu’elles ont vécu le sexisme. Malheureusement, il s’avère que les personnes noires ne gouvernent pas de manière plus éclairée parce qu’elles ont vécu le racisme. Malheureusement, il s’avère que les gays ne gouvernent pas de manière plus attentive aux besoins du peuple parce qu’ils ont vécu l’homophobie. Malheureusement, il s’avère qu’il est impossible qu’une personne précaire, précarisée, racisée, sexisée, trans, noire, grosse et lesbienne n’accède à la Coupole, ne serait-ce qu’à un poste de réceptionniste. Mais si c’était le cas, que se passerait-il ?
Rien. Absolument rien. Le changement de l’intérieur est un mythe. La légitimité à gouverner est un mensonge. Un gouvernement juste n’existe pas. Parce que gouverner, ce n’est pas juste, ce n’est pas légitime, ce n’est pas non-violent, ce n’est pas possible sans rapport hiérarchique, ce n’est même pas démocratique.
Parce qu’un gouvernement, c’est quoi ? C’est des gens, dans le pire des cas une seule personne, pétri·es de privilèges, à la tête d’un pays. C’est des gens complètement hors sol et payé·es extrêmement cher pour prendre les décisions qu’iels considèrent être le mieux pour une population allant de plusieurs milliers à plusieurs millions d’autres personnes. C’est le monopole de la violence légitime délégué à une milice armée et formée à maintenir l’ordre voulu par ce même gouvernement, quelle qu’en soit sa forme. C’est les plein pouvoirs sur la justice, l’éducation, la culture, la santé, les salaires, les taxes, la nourriture, la propriété. Même en démocratie.
Parce que oui, ça pourrait être pire que chez nous, dans notre petite démocratie directe suisse. On est effectivement mieux lotiexs que par exemple chez nos voisinexs en France, haut lieu du francofascisme 2.0. Mais ça pourrait aussi être mieux, par exemple ;
Sur la répression- Mai 2022, augmentation des moyens financiers et humains alloués à Frontex, agence européenne de contrôle des frontières acceptée à 71.5%.
- Novembre 2021, interdiction du financement par les caisses de pension et l’AVS entre autres, des producteurs de matériel de guerre refusée à 57.5%.
- Mars 2021, loi sur les services d’identification électronique (LSIE) acceptée à 64.4%.
- Septembre 2013, abrogation du service militaire obligatoire refusée à 73.2%.
- Février 2011, initiative « pour la protection face à la violence des armes » refusée à 56.3%.
- Juin 1998, initiative « S.o.S. – pour une Suisse sans police fouineuse » refusée à 75.4%.
- Juin 1997, interdiction d’exporter du matériel de guerre refusée à 77.5%.
- Novembre 1989, initiative « pour une Suisse sans armée et pour une politique globale de paix » refusée à 64.4%.
- Septembre 22, modification de la loi fédérale sur l’AVS, repoussant l’âge de la retraite des femmes et les précarisant encore plus que ce qu’elles ne sont déjà, acceptée à 50.5%
- Septembre 2020, projet de déduction fiscale des frais de garde des enfants refusé à 63.2%.
- Février 2020, « davantage de loyers abordables » refusée à 57.1%.
- Avril 2019, « alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital (dividendes, bénéfices sur les actions, …) » refusée à 64.88%.
- Novembre 2014, initiative « Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires » refusée à 59.2%.
- Mai 2014, initiative pour la protection des salaire équitables visant à instaurer un salaire minimum refusée à 76.3%.
- Novembre 2013, initiative « pour des salaires équitables » refusée à 65.3%.
- Septembre 2012, initiative « sécurité du logement à la retraite » refusée à 66%.
- Septembre 2006, attribution des bénéfices de la Banque Nationale Suisse à l’AVS refusée à 58.3%.
- Septembre 2002, initiative « pour le versement au fonds AVS des réserves d’or excédentaires de la Banque nationale suisse » refusée à 51.1%.
- Mai 1984, initiative « contre l’abus du secret bancaire et de la puissance des banques » refusée à 73%.
- Décembre 1977, initiative « en vue de l’harmonisation fiscale, d’une imposition plus forte de la richesse et du dégrèvement des bas revenus (Initiative pour l’impôt sur la richesse) » refusée à 55.6%.
- Septembre 1977, protection des locataires refusée à 55.3%.
- Mars 1976, abolition des privilèges fiscaux et imposition plus équitable refusées à 57.8%.
- Janvier 1958, initiative « contre l’abus de la puissance économique » refusée à 74.1%.
- Septembre 2014, initiative « pour une caisse publique d’assurance maladie » refusée à 61.8%.
- Septembre 2012, « protection contre le tabagisme passif » refusée à 66%.
- Mars 2007, une caisse maladie unique et sociale refusée à 71.2%.
- Mars 2002, durée de travail réduite refusée à 74.6%.
- Mars 2001, initiative « pour des médicaments à moindre prix » refusée à 69.1%.
- Novembre 2000, initiative « pour un assouplissement de l’AVS – contre le relèvement de l’âge de la retraite des femmes » refusée à 60.5%.
- Décembre 1994, initiative « pour une saine assurance-maladie » refusée à 76.6%.
- Juin 1988, initiative visant à abaisser à 62 ans pour les hommes et à 60 ans pour les femmes l’âge donnant droit à la rente AVS refusée à 64.9%.
- Décembre 1988, réduction de la durée de travail refusée à 65.7%.
- Décembre 1984, « protection efficace de la maternité » refusée à 84.2%.
- Décembre 1976, semaine de travail à 40h refusée à 78%.
- Décembre 1974, initiative « pour une meilleure assurance-maladie » refusée à 70.2%.
- Octobre 1958, initiative pour l’introduction de la semaine de 44 heures refusée à 65%.
- Mars 2021, interdiction de se couvrir le visage acceptée à 51.2%.
- Février 2014, initiative contre « l’immigration de masse » acceptée à 50.3%.
- Novembre 2010, renvoi des « étrangers criminels » acceptée à 52.3%.
- Novembre 2009, interdiction de la construction de minarets acceptée à 57.5%.
- Septembre 2004, « naturalisation facilitée des jeunes étrangers de deuxième génération » refusée à 56.8%.
- Septembre 2004, « acquisition de la nationalité par les étrangers de la troisième génération » refusée à 51.6%.
- Juin 2008, initiative « pour des naturalisations démocratiques » refusée à 63.8%.
- Décembre 1983, arrêté fédéral tendant à faciliter certaines naturalisations refusé à 55.2%.
- Avril 1981, initiative « être solidaires en faveur d’une nouvelle politique à l’égard des étrangers » refusée à 83.8%.
- Septembre 2022, l’initiative populaire « non à l’élevage intensif » visant à interdire l’élevage intensif et intégrer la notion de dignité animale refusée à 62.9%.
- Février 2022, interdiction de l’expérimentation animale et humaine refusée à 79.1%.
- Mars 2010, initiative « contre les mauvais traitements envers les animaux et pour une meilleure protection juridique de ces derniers » refusée à 70.5%.
- 18 mai 1879, révision de l’article 65 de la Constitution réglementant l’application de la peine de mort accepté à seulement 52%.
- Juin 2021, initiative « pour une Suisse libre de pesticides de synthèses » refusée à 60.7%.
- Juin 2021, loi sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre refusée à 51.6%.
- Juin 2021, initiative « pour une eau potable propre et une alimentation saine » refusée à 60.7%.
- Novembre 2020, initiative pour « protéger l’être humain et l’environnement » refusée à 50.7%.
- Septembre 1998, initiative « pour des produits alimentaires bon marché et des exploitations agricoles écologiques » refusée à 77%.
- Novembre 2021, désignation des juges fédéraux par tirage au sort plutôt que par élection du Parlement refusée à 68.1%.
- Juin 2013, initiative « élection du Conseil Fédéral par le peuple » refusée à 76.3%.
- Juin 2012, initiative « accords internationaux : la parole au peuple ! » refusée à 75.3%.
- Juin 2008, initiative « Souveraineté du peuple sans propagande gouvernementale » refusée à 75.2 %.
- Mars 1980, initiative « séparation complète de l’Eglise et de l’Etat » refusée à 78.9%.
- Février 1959, institution du suffrage féminin en matière fédérale refusée à 66.9% (acceptée le 7 février 1971 à 65.7%).
- Septembre 1949, initiative « pour le retour de la démocratie directe » acceptée de justesse à 50.7%.
- Janvier 1942, initiative demandant l’élection du Conseil Fédéral par le peuple refusée à 67.6%.
Notre belle démocratie directe ne semble pas être à l’avantage du peuple et de son environnement. Ou alors si, mais pas des femmes, des raciséexs, des queers, des réfugiéexs, des personnes issues de la migration, de leurs enfants, des précairexs, des jeunes, des malades, des vulnérables, des vieilleux, des invalides et des gens de gauche, auxquellexs on peut ajouter les animaux et la nature au sens large.
Au final, une question demeure : qui veut vraiment être gouvernéex ?
Une femme au gouvernement n’éradiquera pas le racisme systémique, même si elle est noire. Une zadiste au gouvernement n’éradiquera pas les violences policières. Une grosse au gouvernement n’éradiquera pas la grossophobie et les troubles du comportement alimentaire faisant partie intégrante de la socialisation des petites filles. Une rentière AI au gouvernement n’éradiquera pas le validisme qui nie à celleux qui le subissent le droit d’exister. Une ancienne chômeuse au gouvernement ne nous sauvera pas du compte en banque négatif deux jours après le salaire.
Nous subirons toujours. Le propre d’un système basé sur l’autorité d’un groupe est de la préserver, forcément au détriment de celleux qui ne l’ont pas.
Les précaires et précariséexs ne seront jamais en mesure de gagner en suivant les règles, tout en ayant l’impression que c’est possible. Ce pourquoi un gouvernement travaille, c’est la paix sociale, indispensable pour éviter un renversement des forces, pas l’égalité, pas l’équité, pas la justice.
Les petites mesures progressistes, les premières étapes vers un monde meilleur, la hiérarchisation des luttes « parce qu’on ne peut pas s’occuper de tout le monde », c’est des miettes. Les premières étapes ne vont jamais plus loin, parce qu’on se contente des miettes. « C’est déjà ça ». Et on ne rêve même plus de brioche.
Tout est à tousxtes, rien n’est à l’oppresseur. La révolution ne passera pas par les urnes, elle passera par la rue et son grondement.
Tant que le royaume aura une tête, la paix n’existera pas.