Le printemps, la plus belle des saisons. Les oiseaux chantent en construisant leurs nids, les plantes s’épanouissent, les jours se rallongent et les terrains de golf sont victimes d’attaques maraîchères. En moins d’un mois, 5 d’entre eux ont été mis en culture. Patates, seigle ou encore topinambours ont été planté sur les greens de Lausanne, Genève, Payerne, Vuissens et Neuchâtel. Face à ce déferlement d’amour pour le vivant, la politique a riposté à grand coup de vilains mots : « violence extrême, vandalisme, écoterrorisme… ». À droite on condamne fermement, à gauche on condamne en chuchotant. Au milieu, le golf et son monde s’en sort plutôt bien puisque le discours des médias porte sur le degré de condamnation des saccages et non sur le rôle de ce sport dans notre société patriarcale, capitaliste et écocidaire. Les débats s’enlisent dans un bunker1.
Pour remettre les choses dans leur contexte, les grondements des terres nous donnent 10 raisons pour continuer à donner des coups de bêches dans les terrains de golf.
Merci à elleux de faire le travail des journalistes.
Quelques jours à peine après avoir démonté les dernières plateformes de la forêt du Moulin d’Amour et thématisé l’accaparement des ressources, un nouveau bourdonnement est parvenu à nos oreilles. En effet, la terre s’est remise à gronder, cette fois sous le faux gazon d’un parcours de golf du canton de Vaud. Cela a marqué le lancement du deuxième grondement des terres.
La pratique du golf, symbole par excellence de la réussite bourgeoise, implique une empreinte écologique élevée, que supplantent uniquement le ski de piste, les courses automobiles et le tir, cet autre sport noble. Par ailleurs, elle ne concerne que 2,3% de la population suisse, et coûte extrêmement cher. Il s’agit donc d’une activité extrêmement destructrice, qui n’apporte qu’un luxe à une infime partie de privilégié·es. Le golf forme à nos yeux la cerise sur le gâteau d’une élite économique qui s’approprie les terres et les ressources pour ne nous laisser que des miettes.
Ci-dessous, nous détaillons la manière dont ce sport est néfaste pour la biodiversité sur laquelle notre avenir à toutes et tous repose, les ressources qu’il implique et sa contribution aux réchauffement et changements climatiques. Et puis nous nous tâchons aussi de montrer comment il est exemplaire de l’accaparement des ressources et des terres par une soi-disant élite. Car nous saisir de nos houes, nos bêches et nos grelinettes ne nous empêche pas de cultiver nos théories anticapitalistes !
1. Un sport qui gagne du terrain
En Suisse, ils occupent aujourd’hui une surface totale estimée à 35 km², d’après une cartographie du 24 Heures basée sur les statistiques de la superficie de 2018. En comparaison, le lac de Bienne fait 39 km², contre seulement 34 km² pour les parcs publics. Et 31 km² de décharges.
À l’échelle mondiale, les chiffres sont plus difficiles à estimer, mais selon un article paru dans Cadre & Dirigeant Magazine en 2022, il existerait environ 38’000 parcours de golf sur la planète. Sachant que l’aménagement d’un golf de 18 trous nécessite une surface d’environ 40 à 50 hectares, alors que l’on compte en moyenne 20 à 30 hectares pour un 9 trous, cela signifierait qu’entre 7’600 et 19’000 km² seraient réservés à cet usage. À l’inverse, et pour revenir en Suisse, rappelons qu’entre 1985 et 2018 ce sont 1’143 km² de surface agricole – soit environ deux fois la taille du lac Léman – qui ont disparu. Ce qui signifie en moyenne 1,1 m² à chaque seconde qui passe.
Ainsi, les golfs posent la question de la façon dont nous utilisons nos terres. D’après des calculs de la Haute école spécialisée de la Suisse du nord-ouest, une surface agricole de 1’800 m² serait nécessaire à l’alimentation d’une personne suisse, selon nos habitudes alimentaires actuelles et les denrées produites sur la base de rendements actuels moyens. Deux moyennes qui sont évidemment basées sur une alimentation excessivement carnée et transformée, et sur une agriculture industrielle. Mais ce sont les chiffres que nous avons à disposition. Si l’on se base dessus, on réalise que la surface que se réservent dans notre pays les golfeurs et golfeuses pourrait donc répondre aux besoins nutritionnels de près de 20’000 personnes. Et ce localement. Nous parions par ailleurs que ce chiffre pourrait augmenter si nous changions nos régimes alimentaires, si notre agriculture se diversifiait, et si l’eau à disposition sur notre territoire était mieux attribuée.
2. Un sport qui donne soif
Car, en effet l’autre ressource que les golfs s’accaparent volontiers, c’est l’eau. Les chiffres officiels pointent 25000 m3 d’eau consommés par an pour 9 trous. De plus, alors que la réalité du réchauffement climatique est toujours plus saisissante suite aux derniers épisodes de sécheresse, les golfs continuent de profiter d’un traitement de faveur inapproprié en matière d’utilisation de l’eau. Une rumeur veut que le golf de Lavaux, situé sur la commune de Puidoux, ait l’autorisation de pomper dans le Lac de Bret, même quand les restrictions courent pour les particulier·es et les paysan·nes des environs. De même, un article paru dans le 24 Heures en 2022 en montre une très belle image aérienne et relate qu’à Gland le « Golf Club du Domaine Impérial » pompe allégrement l’eau du Léman.
À l’échelle mondiale, selon le WorldWatch Institute, 9,5 milliards de litres d’eau seraient utilisés chaque jour pour arroser les pelouses des golfs. Soit presque l’équivalent de ce que boit l’humanité en une journée. D’autres chiffres montrent qu’un seul parcours de golf nécessiterait autant d’eau qu’une ville de 7 000 habitant·es par an. Au vu des commentaires parus ici et là sur Internet ces derniers jours, il semble nécessaire de rappeler que oui, l’eau est une ressource précieuse et qu’il est de notre devoir de la protéger. En Suisse, l’entier de l’eau utilisée par les ménages, soit près de 170 litres par personne ou un quart de la consommation totale d’eau, est de l’eau potable. Les nappes phréatiques se remplissent de moins en moins vite. Dans les Alpes en particulier, les enjeux entre irrigation, turbinage et neige artificielle commencent à faire hausser le ton. Sans même parler de la privatisation de cette ressource essentielle, et des risques de sécheresse qui sont d’ores et déjà exceptionnellement marqués pour 2023 et que cette tendance va se confirmer.
3. Un sport qui fait dépenser un max d’énergie… fossile
L’eau ne sert d’ailleurs pas qu’à arroser – parfois quotidiennement – les vertes pelouses des greens, mais aussi à remplir des obstacles d’eau, à savoir des « zones à pénalité » sous forme d’étangs ou de cours d’eau, dans lesquelles de nombreuses balles vont finir, se transformant ainsi en lakeballs. Aux seuls États-Unis, on parle de 300’000’000 balles de golf pétrochimiques qui seraient perdues chaque année dans la « nature », soit dans ces obstacles d’eau ou dans les futaies et autres haies, pauvres gardiennes de la biodiversité. Ces balles, après quelques mois passés là, commencent comme il se doit à se décomposer en microplastiques. Heureusement, le milieu du golf ne se laisse pas faire. Ainsi il a donné naissance à un nouveau business : celui de plongeur·euse de balles de golf ! Et Justin Timberlake les a même remplacées sur son golf personnel par des balles biodégradables qui accompagnent à merveille ses voitures électriques solaires.
Autant de solutions miraculeuses qui ne sont pas dépourvues de quantités phénoménales d’énergie grise, au même titre que celle nécessaire à la production des caddies, des clubs dont l’acier ou le graphite ne viennent pas de la plaine de l’Orbe, ou des voiturettes de golf, fussent-elles électriques.
Trêve de voiturettes, parlons voitures. S’ils étaient situés en zones urbaines ou périurbaines peut-être que les terrains de golf procureraient un peu de fraicheur, de verdure et de biodiversité dont pourraient même de loin profiter les 97,7% de la population qui ne pratiquent pas ce sport. Las, ils sont souvent situés dans des zones de campagne, et parfois difficilement accessibles en transports publics ou à bicyclette. D’après la fédération SwissGolf elle-même, citée dans Le Matin Dimanche du 23 avril 2023 qui en décrit les Tesla, les Audi et les Mercedes, la mobilité des joueur·euses représenterait 30% de l’impact environnemental de ce sport. Notons par ailleurs que les golfeurs, comme tous les sportifs d’élite, se déplacent pour les compétitions, et prennent donc l’avion, ce qui engendre encore plus d’émissions.
4. Un sport qui nécessite des tonnes de pesticides
Ni des espaces naturels ni des surfaces de cultures nourricières, les golfs contribuent en outre à la pollution des sols et à la chute de la biodiversité. Et qui dit hectolitres d’eau sur gazon vert dit tonnes d’herbicides… D’après un article paru sur le site Good Planet et daté de 2017, « les parcours se doivent d’être impeccables pour attirer leurs adeptes : mauvaises herbes et mottes de terre disgracieuses ne sont pas les bienvenues. Le Wordwatch Institute estime ainsi que 18 kg de pesticides sont utilisés par hectare de terrains de golf par an, en moyenne. Alors que pour l’agriculture, il s’agit de 2,5 kg par hectare par an. »
Certes, ces chiffres ne sont peut-être pas tout à fait précis : greens, fairways et départ sont les seuls à demander des traitements aux pesticides de synthèse, d’après une réponse de la Fédération Suisse de Golf, alors qu’ils ne constituent qu’environ 30% de l’ensemble des terrains de golf en Suisse. Et dans notre pays la moyenne de pesticide vendu par hectare effectivement cultivé tourne plutôt autour des deux kilos par année. Et une agriculture industrielle gourmande en chimie et en pétrole n’est pas ce que nous appelons de nos vœux non plus, loin de là. Nous serions d’ailleurs curieux·ses d’en apprendre plus sur le fameux domaine agricole qui occupait jusqu’en 1997 le terrain du golf de Payerne, dont le directeur affirme sans sourcilier qu’elle polluait cinquante fois plus que l’actuel espace sportif ! 50x plus vraiment ? Montrez-nous les chiffres, monsieur Rapin ! Vous qui prenez les militant·es écologistes pour des imbéciles (jeunes, il va sans dire) qui auraient pu au moins gaspiller des pommes de terre germées pour une action symbolique d’une durée de vie estimée à 16h (hors écho médiatique). Et montrez-nous par la même occasion comment le nichoir qui a accueilli les œufs d’un couple de chouettes effraies annule l’ardoise des centaines de passages de tondeuses, de la même manière que les biotopes installés par Holcim dans leur gravière d’Aigle à l’égard des petits gravelots les absoudraient des centaines de violations de droits humains que la multinationale a au compteur.
5. Le sport le plus vert du monde
Car oui, se pencher sur la biodiversité dans les golfs suisses fait avant tout ressortir une chose : un greenwashing grossier ! Non, le terrain du golf de Lausanne n’est pas d’une « grande qualité » écologique, et non il ne recèle pas une variété d’animaux et de plantes « remarquable », contrairement à ce que fanfaronne le golf de Lausanne sur son site Internet, prétendant être exemplaire en termes de développement durable. « Grande qualité », « remarquables », « des efforts significatifs », « nous nous engageons depuis longtemps », « durable », « nous sommes conscients », « un avenir de qualité »… autant de vocables vides de sens, qui cachent autant des actions trompeuses, ou des inactions. Les inénarrables règles d’or censées redorer l’image du golf en sont un parfait exemple. Nous remettons ici la définition du greenwashing, telle qu’on la trouve sur le site de l’organisation Grain, qui en détaille en particulier les pratiques dans le domaine agroalimentaire et agro-industriel. « Le greenwashing est une stratégie de marketing ou de publicité dans laquelle les entreprises reconnaissent l’existence de problèmes environnementaux, mais utilisent ensuite des informations fausses ou trompeuses pour donner l’impression qu’elles-mêmes et les produits qu’elles vendent apportent des solutions à ces problèmes. »
Certes, les golfs ont des labels. Mais des labels créés par qui? Pour qui? De nos jours tout un chacun peut créer un label, se donner des critères, et s’en vanter ensuite. C’est par exemple le cas d’IP Suisse, avec qui Swissgolf a un partenariat, il y a une coccinelle sur le logo, les supermarchés ne jurent que par ça, c’est merveilleux (et la photo de leur comité aussi fait rêver), mais en réalité ce que garanti ce label est juste un tout petit peu moins pire que l’agriculture industrielle, et permet surtout de maintenir le statu quo sans remettre celle-ci en question. Mais les golfs ont mieux encore : Suisse Tourisme, la corporation de droit public de la Confédération de promotion du tourisme, propose aux organisations touristiques d’obtenir le Swisstainable label qui, comme son nom l’indique, reconnait les entreprises qui œuvrent pour le développement durable. Si le golf de Lausanne peut se targuer d’être de la catégorie supérieure du label, les critères d’accessions représentent bien la promotion libérale de la durabilité, qui a pour principal objectif « un tourisme attrayant » et d’en « développer l’offre et la commercialisation. » D’autant plus que le label une fois obtenu, les contrôles sont facultatifs ! Comment ces golfs peuvent annoncer veiller « à une consommation des ressources naturelles aussi minime que possible » alors que, comme nous avons pu constater plus haut, leur consommation, notamment d’eau, est complètement disproportionnée ? Au constat du fossé entre réalité et promesses que vend ce label, comment croire à de telles démarches qui prônent le profit aux dépens des milieux naturels, et au nom de l’économie touristique. La seule mesure prise étant la (faible) réduction de l’impact sur l’environnement sans penser le fond des pratiques.
Certes les golfs mettent en place des surfaces de compensation écologiques. Mais qui compensent quoi exactement, en termes de biodiversité ? Le nombre de pollinisateurs détruits par les passages répétés des tondeuses sur le green lui-même uniquement ? Mais si l’on prenait en compte tout ce que le terrain de golf en question impliquait, jusqu’à l’énergie nécessaire à l’extraction de l’acier utilisé pour les clubs ou du souffre des pesticides, cela ferait quoi, 5%, soyons optimistes, 10%, de l’ensemble des dommages irréversibles causés à l’environnement ?
La vraie question n’est pas le nombre de litres de pétrole utilisés en moins sur le terrain de golf x ou y en 2022 qu’en 2021 – année qui a vu la Suisse augmenter ses émissions de CO2 de 3%, sans même compter les biens importés ni le trafic aérien international – mais bien : à qui profitent les golfs ? La question mériterait d’être creusée, mais permettons-nous d’amener un premier élément de réponse : à pas plus de 2,3 % de la population suisse, à leurs sponsors, à leurs investisseurs.
6. Un sport pour gentlemen, mostly
Gentlemen Mostly, Ladies Forbidden. Si l’acronyme n’est pas historiquement à l’origine du nom de golf, qui viendrait de l’allemand Kolbe, ce sport n’en est pas moins réputé pour être très majoritairement masculin et blanc. Mais mettons quelques chiffres pour étayer ces propos. En Suisse, il s’avère tout de même que 34% des personnes qui jouent sur ces surfaces trop arrosées sont des femmes, ce qui n’est pas si mal, si l’on considère qu’aux États-Unis, en 2006, une étude en dénombrait seulement 4%. Mais le problème, c’est aussi que toute l’industrie du golf est majoritairement masculine. Par exemple, au Lausanne Golf Club, 6 des 8 membres du comité sont des hommes. Au niveau mondial, pour les compétitions professionnelles, l’écart de rémunération entre les genres est l’un des plus importants tous sports confondus, d’après une enquête de la BBC. Il s’agit de différences allant jusqu’à 1,8 million de dollars, c’est-à-dire des écarts de 75% pour les prix du haut du podium.
Encore aujourd’hui, il n’y a que deux hommes noirs dans le top 100 mondial et une seule femme noire dans le top 300 des classements mondiaux. Et bien que le golf ait essayé de se montrer plus inclusif ces dernières années, il y existe toujours de gros problèmes de sexisme et racisme, qui ont fait l’objet de nombreux témoignages. En plus, d’être un sport d’hommes blancs, le golf est un sport de vieux hommes blancs. L’âge moyen des personnes qui pratiquent le golf en Suisse était de 56 ans en 2020, et la tendance est visiblement à la hausse. Il faut dire que le milieu n’est pas très accueillant pour les jeunes parents, ainsi les poussettes sont interdites au club-house du golf Lausanne, où les enfants n’ont d’ailleurs pas le droit de jouer.
Même si le golf arrive à améliorer certains de ces faits, il n’en demeure pas moins un sport profondément exclusif et élitiste, réservé aux riches, ne serait-ce qu’en raison des coûts. Ainsi, les quelques 34 km2 de terres réquisitionnées en Suisse pour ce sport ne bénéficient qu’à 59’530 hommes et 33’723 femmes, soit oui à une poignée de vieux hommes blancs cis et quelques-unes de leurs épouses. Il est tout simplement intolérable qu’autant de ressources soient mobilisées et autant de destruction causée pour une petite frange de la population, qui est aussi peu inclusive en termes de classe ou de genre qu’elle est fermée aux jeunes et aux personnes racisées.
Et si vous voyez le mot « handicap » sur un site de terrain de golf, ça n’est pas que sa direction se serait spontanément et gracieusement dotée d’une étiquette anti-validiste ou que son parcours serait accessible pour les personnes à mobilité réduite. Loin de là. Handicap, en jargon de golfeurs, correspond à un nombre entier qui indique la valeur du joueur au départ d’un parcours, d’après Golf Passion. En passant, il est intéressant de remarquer à quel point les règles de ce sport sont complexes et son vocabulaire aussi spécifique qu’anglophone, on se demande d’ailleurs comment des personnes qui n’auraient pas eu accès à des cours d’anglais se débrouillent pour comprendre tous les enjeux de la pratique.
7. Un sport coûteux
Le chemin vers les pelouses toutes lisses est semé d’embûches, car ce sport nécessite en effet de sortir des billets et devenir golfeur·se ne s’improvise pas. La licence elle-même n’est pas toujours à portée de main. Il faut d’abord payer son statut de membre (entre 4’700 et 9’400 au Golf du Lavaux ou de 7’500 à Payerne par exemple) puis s’acquitter d’une cotisation annuelle. Selon l’Observatoire des sports suisses, en 2016, la cotisation moyenne à un club de golf s’élevait en Suisse à 1767 CHF, alors que la moyenne de tous les sports est quant à elle de 232 CHF. Pour débuter dans la pratique, il faudra ensuite se procurer une dizaine de clubs (l’arme du crime) au prix moyen de 500 CHF la pièce. On peut alors commencer les cours et pratiquer de longues heures pour espérer réussir ses examens pratiques et théoriques. En somme, comme le présente un article du Temps, dans « les golfs privés, il n’est pas rare de devoir débourser plusieurs dizaines de milliers de francs (en actions ou en fonds perdus) pour acquérir ce statut. » Après cette longue aventure à la poursuite de la pelouse verte, les survivant·es ne sont que peu nombreux·ses puisque ce sont seulement 2.3% de la population suisse qui pratiquent ce sport.
À la lumière des chiffres de l’OFS qui statue que 8.5% de la population suisse est en situation de précarité et que le revenu moyen est de 6’665 CHF, il est fort à parier que la majorité de la population ne peut donc pas se payer la pratique de ce sport, accessible à une poignée de personnes privilégiées uniquement.
De plus, un rapide tour du côté des sponsors nous dévoile encore une fois l’image d’une offre sportive excluante. Le golf de Lausanne peut en effet se targuer de compter notre chère BCV dans ses sponsors ainsi que Rolex et l’École Hôtelière de Lausanne, comme clientèle privilégiée. Ne doit-on pas s’inquiéter de voir une banque cantonale, ciblée pour l’empreinte carbone de ses investissements (notamment dans l’initiative « Pour une protection de climat » en votation en juin 2023) exercer son greenwashing dans un lieu qui se prétend durable? Ou encore de voir l’implémentation des montres de luxe comme l’apparat indispensable du golfeur dénotant alors d’un public cible des plus privilégiés ; la possibilité de faire du profit se situe bien là où on trouve les portefeuilles les plus remplis. Et rappelons que oui, la courbe de revenu suit celle des émissions, et que les 10% des plus riches sont responsables de 50% du CO2 rejeté dans l’atmosphère.
Comment une telle pratique sportive peut se déclarer durable – et arborer fièrement son label taillé sur mesure, en même temps que les chemisettes de ses adeptes – tandis qu’elle accueille une clientèle qui participe en grande partie à la destruction de notre environnement par un mode de vie de surconsommation, pour ne pas dire de luxe ? Comment les golfs peuvent se déclarer durables alors que les offres restreignent une majorité de la population ? Par définition, cela n’a rien de durable, excepté si on tient à garder ses privilèges..! Comment ne pas s’effarer devant la démesure de cette pratique qui privatise tellement d’espace à valeur symbolique (qualité du paysage réservée à celleux qui peuvent se le payer), écosystémique (mise en danger de la biodiversité) et sociale (accaparement des terres et des bénéfices ad hoc) pour une élite restreinte, aux dépens du plus grand nombre ?
8. Une compétition d’un autre niveau
S’en prendre au golf de Lausanne a donc constitué un moyen de mettre en lumière ces pratiques bourgeoises et de questionner une répartition des ressources basée sur le privilège du statut économique et social. Ç’a été également l’opportunité d’élargir notre horizon et d’amener la question des pratiques sportives. Les expert·es en transition écologique du sport, comme Maël Besson dans un article du Temps, posent en effet l’impératif à venir de repenser le sport : « La transition écologique nous oblige à déconstruire ce pour quoi on a longtemps œuvré. C’est une violence inévitable. En matière de sport, les pratiques changeront, mais elles ont toujours changé. » Ne pourrions-nous pas imaginer sortir de cette glorification de l’esprit de compétition, qui détruit bien des athlètes dans leur santé et dès le plus jeune âge. Comme il brise par ailleurs la santé psychologique de milliers d’écoliers·eres et de travailleur·euses. Rappelons que le sport peut aussi être un moyen de rester en forme tout en utilisant et développant d’autres capacités et valeurs de plus en plus souhaitables, telles que la collaboration, l’entre-aide ou l’inclusion.
Le nœud du problème se trouve également dans l’impact sur l’environnement qu’impliquent les compétitions. En effet, plus encore que les déjà couteuses rencontres dominicales sur le green de à qui aura le meilleur lancer, les rencontres internationales ou nationales requièrent une logistique de transports des délégations d’athlètes importante. La Suisse accueille également un des sports en tête de liste des plus polluants, le traditionnel ski comme l’ont déjà révélé les actions contre les canons à neige. Pourtant, à l’origine, « le ski revenait à descendre élégamment une pente enneigée. Et le golf, à jouer la balle comme elle tombe », c’est l’uniformisation des terrains de sports extérieurs pour tendre à un standard comparatif dans les compétitions qui nous a détourné de la nature des sports eux-mêmes, d’après le même Maël Besson, et potentiellement pour un attrait et un profit plus large et transposable. Une sobriété dans les infrastructures sportives pourrait alors permettre un impact bien plus réduit et une accessibilité plus équitable. Un idéal réalisable si l’on accepte de questionner ces régimes puisque le constat est fait auprès de la population suisse d’un attrait grandissant pour la randonnée, en effet c’est 56.9% de la population suisse qui pratique ce sport qui ne nécessite dans l’absolu qu’une paire de bonnes chaussures et un peu de respect envers la nature. Et si l’on en revient à nos greens grappilleurs de terres fertiles, il existe déjà l’alternative du street golf.
9. Le sport de ceux qui veulent diriger le monde
Malgré les gesticulations de quelques directeurs et la langue de bois des communicants en durabilité, le cliché demeure : les terrains de golf nous semblent toujours être destinés aux personnes les plus aisées et constituer le doux théâtre d’un entre-soi bourgeois où discuter grandes affaires et petits profits. Cette activité de privilégié·es en chic tenues blanches, pratiquée le dimanche sur les greens qu’on trouve aux quatre coins d’une terre de moins en moins verte, constitue bien la détente favorite de ceux qui prétendent dominer le monde. Car non, ils ne peuvent pas toujours se prélasser dans leur jardin privé ou dans leur chalet de Crans ou de Verbier, Porsche Cayenne parquée dans un bout de montagne soigneusement dynamité, Omega au poignet, nouvel iPad sur la table basse, à s’indigner à l’idée d’une potentielle interdiction de vente de foie gras, cela reviendrait à pousser le cliché un peu loin.
Quand vient le temps de socialiser, ils se retrouvent par exemple au « Golf Club du Domaine Impérial », un club au nom bien trouvé pour des aristocrates nostalgiques qui ne se parent plus guère, entre eux et au milieu d’un 18 trous, d’atours démocrates. Et les sites Internet de la majorité des « golfs and country clubs » du pays dénotent le même registre iconographique et le même champ sémantique ; armoiries et wellness, exclusivité et brigades, panorama et villégiature, spa et championnat, hospitalité et élégance, modernité et chefs étoilés.
Clichés, clichés ? Nous sommes allé·es creuser un peu du côté de notre club de prédilection, celui de Lausanne. Et bien devinez quelles sont les professions des membres du comité sur lesquels nous avons pu trouver des informations. Des avocats, un directeur d’audit chez PwC Switzerland, un vice-président pour les ressources humaines et les opérations (VPRHO) à l’EPFL, un CEO d’une entreprise d’usinage de précision et membre du Geneva Aero Industry Network. Deux femmes, sur huit, mais nous ne saurons pas si elles sont caissières ou banquières, étant donné qu’elles ne vantent pas leur carrière sur Internet. Nous avons aussi découvert l’existence des tournois de golf pour parlementaires, et ça a différents niveaux, romand comme européen. Ainsi le Paul-Schmidhalter-Trophy – le tournoi européen des parlementaires, fondé par Adolf Ogi et Paul Schmidhalter. Mais rassurez-vous, celui-ci n’est pas réservé aux parlementaires uniquement, famille et ami·es, et des célébrités sont également invité·es !
10. Des champs de topinambours plutôt que des golfs !
Avez-vous déjà vu un champ de topinambours en fleur ? C’est très beau, un champ de topinambour en fleur. Ça ressemble un peu à un champ de tournesols, les racines produisent des bonnes fibres et du potassium pour notre alimentation, et pour les sols. C’est un légume racine relativement simple à cultiver. Leurs tiges offrent quantité de matière organique et les fleurs quantité de poésie. Les topinambours sont aussi appelés les artichauts de Jérusalem. Plutôt que des golfs, nous aimerions voir des champs de topinambours, ou des champs de persil, ou des vergers de clémentiniers sous lesquels faire de bonnes siestes ! Et, à vrai dire, nous aimerions bien voir aussi des champs de topinambours, de blés anciens et des vergers de hautes tiges à la place des champs de betteraves sucrières !
En raison du fort taux d’importations lié au système agricole mondialisé, une illusion d’abondance est à l’œuvre. Or, sans parler du coût écologique engendré par le transport des aliments consommés en Suisse, se cache derrière cette façade une autre réalité : chaque jour en Suisse, 3 à 4 fermes disparaissent pour que la voisine s’agrandisse, ou pire pour être transformées en villa, en zone commerciale… ou en golf. Ainsi, de moins en moins de terres sont cultivées et cultivables. Dans ce contexte, par leurs actions sur les golfs, les différents collectifs engagés dans cette deuxième vague de Grondement des terres revendiquent la souveraineté alimentaire, la valorisation du travail de la terre et des vies dignes pour toutes celles et ceux qui le pratiquent. Une agriculture paysanne, nourricière, diversifiée, rémunératrice, solidaire et respectueuse de l’environnement, est aujourd’hui nécessaire. Les ressources de la planète ne sont pas illimitées. Les golfs en accaparent une partie. Reprenons-les !
Un appel en guise de conclusion
En lutte contre l’accaparement des terres par les plus riches, les Grondements des Terres appellent toujours militant·es et collectifs à s’en prendre aux greens de leur région et à y planter patates ou topinambours, arbustes ou plantons maraîchers. Si ces actions sont symboliques, nous espérons fermement voir une fois ces terrains utilisés pour l’alimentation du plus grand nombre, dans le cadre d’une agriculture paysanne ancrée localement.
Pour que la terre nourricière refleurisse à la place de leurs déserts pour privilégié·es ! Prenez les golfs, et envoyez-nous vos photos à grondements-des-terres@riseup.net