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La compensation écologique, marchandisation décomplexée du Vivant

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Nous repartageons ici un article rédigé par notre canard pour le journal romand d’écologie politique Moins! que vous pouvez retrouver dans leur dernier numéro (n° 64). Tout un dossier intitulé « lutter pour le Vivant » est consacré à la thématique de la biodiversité ; cet article en fait partie.


La crise écologique, par sa teneur existentielle et le lot de catastrophes qu’elle porte avec elle, force les champs économiques et politiques à s’adapter. L’air du temps n’est plus à nier ou négliger cette crise totale, mais à l’asseoir sur la chaise bien tremblante de la transition écologique et de l’avènement d’un capitalisme vert. Au cœur de cette transformation sociétale, parmi un arsenal de techniques protéiformes figurent les mesures de compensation. Dans cet article, le Colvert du Peuple déplume cette mascarade prétendument écologiste, rappelant qu’un réel projet écologique ne se fera jamais au détriment du Vivant.

Réifier le Vivant pour le compenser

Les mesures de compensation écologique sont, sur le papier, censées protéger les biotopes. Il en existe tout un panel, souvent confondues et mélangées. Elles vont du petit centime donné en achetant un billet d’avion pour un projet de plantation d’arbres au fauchage tardif, en passant par la création d’une zone humide pour compenser un aménagement. Techniquement, cet article se focalise sur la reconstitution et le remplacement, termes qui désignent le fait de recréer un écosystème lorsqu’un projet d’aménagement détruit une zone labellisée « digne de protection ». Il s’agit en théorie de contrebalancer les impacts infligés à la biosphère pour aboutir à une absence de perte nette, voire obtenir un gain pour la biodiversité. À première vue, cela semble tout à fait pertinent pour lutter contre l’effondrement de la biodiversité et la destruction des milieux naturels. Pourtant, cette pratique a entraîné avec elle un abîme de critiques. Et notre voix s’ajoute ici à toutes celles qui dénoncent un procédé économico-écologique à rebours d’un rapport au monde souhaitable.

Peut-être en premier lieu est-ce le contexte dans lequel s’inscrit la possibilité même de penser la compensation écologique qu’il faut pointer du doigt. Le récit autour de ces mesures, englué dans sa rhétorique technocrate, a besoin, pour être audible et crédible, d’un capitalisme tout-puissant, capable d’artificialiser le Vivant, de reproduire mécaniquement le rôle qu’il remplit pour l’humain et de réduire la nature à des espaces verts, étouffés entre deux blocs de béton. Or, cet état final du capitalisme où tout est partitionné signifierait l’annihilation de la vie. L’être humain (et le besoin de le rappeler ici symbolise bien la tempête de déperdition dans laquelle nous chavirons) a besoin du Vivant et de la plus grande biodiversité possible pour (sur)vivre. Et cette diversité ne se crée pas artificiellement. Un marais met des centaines voire des milliers d’années à se former. Chaque agent s’y trouvant, qu’il soit inerte ou animé, interagit avec les autres. Et aujourd’hui il n’est plus à prouver que les désastres socioécologiques que nous traversons résultent de l’emprise destructrice qu’a la civilisation industrielle sur ces écosystèmes.

Mais au-delà de l’artificialisation du monde dénotant un anthropocentrisme dangereux, il y a méprise dans le mot compensation. La destruction du Vivant n’est pas compensable. Cette rhétorique traduit bien la pensée de nos gouvernements, pour qui le Vivant n’est qu’une source de richesse comme une autre, seulement prête à être exploitée. Le Vivant existe pour lui-même, et qu’une zone puisse être « remplacée » ou qu’on la désigne comme « sans intérêt » pour l’être humain ne doit pas donner un blanc-seing aux futurs entrepreneurs ou gouvernements avares de nouveaux profits. 

Gouverner l’ingouvernable

De plus, la logique qui sous-tend cette pratique est celle d’une négation de la finitude de la planète. La doctrine de la compensation voudrait qu’en premier lieu on évite les projets « non-indispensables » qui détruiraient des biotopes protégés mais que, faute de pouvoir en éviter certains, il faudrait à tout le moins réduire leur impact et, en dernier lieu, compenser les impacts qui subsistent. Or, ces deux derniers postulats partent du principe 1) qu’il existe encore aujourd’hui des projets d’artificialisation et de bétonisation qui seraient indispensables et 2) qu’il y aura toujours de la place pour reconstruire un écosystème lorsqu’une surface est bétonnée. En suivant cette réflexion, la surface des pays occidentaux ressemblera à un puzzle aux pièces aménagées et compensées, entre béton et gouilles dépourvues de vie. 

En résumé, ces politiques de compensation symbolisent parfaitement la réduction de la pensée écologique à une affaire de chiffres, de calculs, de graphiques. Derrière cette fumée prétendument verte, les gouvernants font perdurer leurs logiques de prédation.

Le Vivant dispose d’un réservoir de puissances affectives et de forces spirituelles irréductibles. Il échappe à ce monde, à ses logiques de canalisation, à ses tentatives de rationalisation. Il est encore moins maîtrisable, dominable, gouvernable que compensable. C’est là toute la puissance du cri « nous sommes le Vivant qui se défend ». Il ne défend pas la « nature » ou un autre concept abstrait, mais le sentiment indépassable que la vie est sacrée, qu’elle ne se marchandise pas, qu’un lien nous unit, qu’une force nous réunit. Et que cette force est menacée, tant dans nos cœurs qu’au sein des écosystèmes.

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