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On sait ce qu’on ne veut plus, mais qu’est-ce qu’on veut alors en fait, et surtout, comment on fait ?

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Réflexions sur une discussion aux rencontres internationales antiautoritaires de St-Imier.


On sait ce qu’on ne veut plus

On entend souvent qu’«il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme», selon la formule attribuée à Fredric Jameson. Pourtant, un atelier proposait justement lors des RIA1 de se demander quelles alternatives au capitalisme sont possibles et souhaitables. Rapidement, force est de constater que ce n’est pas tant d’imaginer une alternative au capitalisme qui pose problème, mais plutôt de se mettre d’accord sur les priorités, le fonctionnement et la forme concrète qu’elle prendra.

Au sens de l’organisation et du fonctionnement politique à proprement parler, les possibilités sont nombreuses. Communalisme, anarcho-syndicalisme, municipalisme libertaire ou encore, inspiré de ce dernier, confédéralisme démocratique (qui a l’avantage d’être très concrètement utilisé et perfectionné depuis une dizaine d’années au Rojava) sont autant de systèmes d’organisation, de prise de décision et de gouvernement (ce n‘est pas un gros mot) qui ont été proposés par les militant·e·x·s présent·e·x·s. Chacun·e·x a sa petite préférence, son idéal, et il semblerait que plus un projet est précis et une réflexion aboutie, plus les petites différences paraissent insurmontables. Dans la pièce, il est difficile de se mettre d’accord et la conversation s’enlise parfois. A la manière de cette dynamique parfois frustrante et très spécifique aux discussions impliquant un grand nombre de personnes, chacun·e·x souhaite donner son avis, apporter une petite nuance, reformuler avec ses propres mots. Pour ne rien arranger, la parole est distribuée dans l’ordre dans lequel les gens lèvent la main, ce qui a pour résultat que les réponses et réactions concernent souvent ce qui a été dit une ou deux interventions plus tôt. Bref, c’est difficile de garder une cohérence et on a des fois l’impression de tourner en rond.

Un point sur lequel les participant·e·x·s semblent s’accorder en tous cas, c’est qu’on ne va pas trop dans la bonne direction pour l’instant. Si l’on a pu espérer que les crises (écologiques, économiques, sociales, …) de plus en plus fréquentes et graves fragiliseraient le système, on remarque que ce n’est pas vraiment le cas. Le capitalisme se montre de plus en plus autoritaire et violent mais il ne recule pas, au contraire. Il devient urgent d’imaginer et d’organiser d’autres avenirs, car celui que nous promet la sociale-démocratie néolibérale semble être le totalitarisme et l’Etat-policier, ni plus ni moins.2

Mais qu’est-ce qu’on veut alors en fait ?

Dans la salle, on rêve en vrac de retour à la terre, de vie en communauté, d’art et d’amour. Oui ça paraît très niais dit comme ça, mais d’après moi c’est extrêmement important et sérieux pour deux raisons. Premièrement, j’y vois ce qui fait de nous des êtres humains, et je vous promets c’est pas si niais que ça. Créer du lien, partager des expériences, des émotions, des aventures, des jeux, des histoires, faire des trucs épanouissants avec des personnes qu’on aime, c’est ce qui nous définit en tant qu’espèce, c’est ce à quoi l’on aspire profondément. Et je suis ravi que quelques dizaines d’années de turbolibéralisme facho-start-up 2000 aient suffi pour dégoûter tant de gens des affects et désirs qu’on voulait nous faire croire être les nôtres (i.e. le travail, la réussite professionnelle, les possessions matérielles et le patrimoine, la gloire et la célébrité, l’argent, le pouvoir, etc.). Deuxièmement, on en arrive à un point où c’est limite révolutionnaire de croire encore en l’amour, le partage, l’entraide et la bienveillance quand tout le monde semble céder à l’appât du gain, au chacun pour soi, au renfermement voire au fascisme. Même si on nous traite de bisounours. Même si tout est fait pour nous pousser là-dedans, il faut résister à la tentation de jouer le jeu selon leurs règles.

Même si l’alternative signifie lutter, faire face aux attaques politiques, économiques, se battre contre les flics s’il le faut, c’est nécessaire, c’est souhaitable, et même c’est beau. Ça me redonne espoir de voir que tout le monde n’est pas en train d’acheter des flingues et d’entasser des provisions dans sa cave3, je veux pas que le monde d’après ressemble à Mad Max. C’est d’une telle faiblesse de cœur et d’esprit que de choisir de ne penser qu’à sa gueule, un jour il faudra qu’on parle d’à quel point les fascistes sont des gros·se·x·s lâche·x·s fragiles même s’iels se voient plein·e·x·s de puissance virile et patriote. Après, l’amour et la bienveillance ça veut pas dire avec tout le monde et n’importe qui, bien entendu. Ça veut pas dire qu’il faut tout oublier, tout pardonner, ça veut pas dire qu’il faut respecter à tout prix, ou pire, remercier les flics ou l’État ou ton patron, ni qu’il faut être non-violent. Mais ça veut dire qu’on se bat pour mettre fin à l’exploitation, aux discriminations et aux violences, et pas juste pour devenir des tyrans à la place des tyrans4.

Et surtout, comment on fait ?

La tâche paraît titanesque, nous sommes si petit·e·x·s et si peu nombreu·ses·x, faire tomber le système semble suffisamment compliqué. Et en plus il faut prendre garde aux fascistes qui, sans forcément s’opposer à sa chute, voudront le remplacer par quelque chose de très éloigné de ce que nous voulons.

Et si on essayait de réfléchir dans l’autre sens ? Et si pour faire tomber le système il n’y avait pas besoin de faire tomber le système ? C’est difficile d’imaginer qu’on va mettre fin au capitalisme partout et pour toujours demain, dans une semaine ou même l’année prochaine, il y a trop d’éléments à prendre en compte, c’est pour ça qu’on sait pas par où commencer et que ça paraît irréalisable. Mais si la solution c’était justement d’incarner dès maintenant ce que l’on veut voir dans le monde d’après, puis d’encourager et de renforcer petit-à-petit les lieux, moments, personnes et structures qui rendent cela possible, jusqu’à remplacer le système actuel ?

Voici une liste non-exhaustive de ce que tu peux mettre en place dès aujourd’hui et qui t’aidera à prendre soin de toi et de tes ami·e·x·s, à créer du lien et à faire des trucs qui font du sens tout en luttant contre le capitalisme.

Tu veux commencer gentiment sans te lever de ton fauteuil, ton siège de train ou tes toilettes (je sais pas où tu me lis) ? Tu peux t’abonner à des contenus militants sur les réseaux et spammer tout le monde avec, t’abonner et suivre des sources d’infos indépendantes et engagées5 ou encore soutenir financièrement des artiste·x·s engagé·e·x·s. Tu n’as pas besoin non plus de te lever pour prendre la décision d’arrêter de prendre l’avion, de consommer des produits d’origine animale ou de fumer6, même si c’est vrai que ça demande un certain effort par après pour s’y tenir.

Si tu es prêt·e·x à passer à l’étape supérieure et que tu en as les moyens et les capacités, tu peux aller en manif dès que tu peux et entraîner tes potes, faire de l’art engagé, rejoindre la rédaction de ton journal militant préféré (abonne-toi, mets la cloche ;-)), boycotter des trucs (les JO, Facebook, la F1, le ski, Amazon, Twitch, Nestlé, les impôts, … ce que tu veux), limiter au maximum ton utilisation d’internet, te désinscrire de tous les réseaux sociaux, changer de banque, cultiver ton jardin, changer de métier, donner de ton temps bénévolement pour une association, un festival, un événement, un collectif.

Tu te sens seul·e·x face à tout ça et tu déprimes ? Rejoins un club de lecture, une troupe de théâtre, une fanfare, une chorale, plus il y a de personnes d’âges et d’origines différentes, mieux c’est ! Toutes les discussions sur l’avenir n’ont pas besoin d’avoir lieu uniquement dans des cadres militants, au contraire. Organise des colos ou des camps de ski, rejoins le SEL. Si en même temps tu veux t’engager concrètement, rejoins une association, un collectif, un mouvement militant : tu rencontreras d’autres personnes qui ont les mêmes préoccupations et peut-être aussi les mêmes idéaux que toi.

Tout ça n’est pas assez radical pour toi, tu as une colère profonde envers ce système injuste qui demande d’être apaisée immédiatement ? Sabote ton travail7, chourse8, vandalise du mobilier urbain ou de la pub, organise-toi en groupe d’affinité9 avec des potes, organisez et participez à des actions radicales, des occupations, des sabotages, etc.

Bien sûr, lutter contre le capitalisme n’est pas réservé aux prolox, alors si tu nous lis et que…

Tu es milliardaire·x ? Rends l’argent !

Tu es patron.·ne·x ? Vire-toi et laisse tes employé·e·x·s s’autogérer !

Tu es propriétaire·x ? La propriété c’est le vol, donne leurs appartements à tes locataires !

Tu es filc ? Démissionne !

Et enfin, si tout cela ne te suffit pas, il te reste toujours la possibilité d’organiser un événement international rassemblant sur plusieurs jours des milliers de personnes de tous les pays d’Europe, ainsi que plusieurs pays extra-européens, et permettant de réfléchir, s’instruire, discuter et échanger sur ces questions afin de trouver des idées, des projets et des combats pour faire advenir le plus rapidement possible un monde plus juste et plus humain (see what I did there ?).

Merci à toutes les personnes qui ont organisé et participé aux RIA, c’était vraiment bonnard <3


  1. Les rencontres internationales antiautoritaires, plus précisément le rassemblement organisé à St-Imier du 19 au 23 juillet pour le 150ème anniversaire du Congrès de St-Imier (15 et 16 septembre 1872) lors duquel a été fondée l’internationale antiautoritaire.
  2. Si si, j’vous jure, et j’en veux pour preuve le film Les fils de l’homme … Ou alors n’importe quelle actualité française en ce moment.
  3. Mais attention, ne nous y trompons pas, certaines personnes le font et c’est un projet politique qu’il ne faut ni sous-estimer, ni minimiser.
  4. Mais après ça y en a quand-même qui diront encore que «les extrêmes se rejoignent»…
  5. https://lecolvertdupeuple.ch/ressources/
  6. Ça peut paraître étonnant mais en même temps l’industrie du tabac c’est un truc hyper capitaliste et avec des conséquences catastrophiques pour l’environnement et la santé publique alors pourquoi la soutenir ? Et si tu as besoin de ressources en voilà une
  7. Guide du sabotage au travail
  8. Guide des chourses
  9. Ressources pour les groupes d’affinités

2 Comments

  1. Bonjour,
    J’ai bien lu votre article jusqu’à la fin. Et je dois vous avouer que je reste sur ma faim, même déçu.
    Je ne comprends toujours pas « ce que vous voulez alors en fait? »
    Et personnellement, je trouve votre appel au vandalisme de mobilier urbain particulièrement déplacer. Des collectivités et des personnes s’engagent pour rendre nos espaces urbains agréables et pour développer nos infrastructures, le vandalisme, c’est insulté le travail fourni.
    Avec mes meilleures salutations.

    • Bonjour,

      Ce que nous voulons est intrinsèquement difficile à résumer précisément car c’est souvent différent pour chaque personne. Nous voulons un nouveau rapport au réel, au vivant, nous voulons une nouvelle manière d’organiser la société et en premier lieu les moyens de production. Nous voulons pouvoir choisir ce que nous faisons de notre temps, nous voulons pouvoir vivre dignement sans devoir tout sacrifier au capitalisme et à la productivité.

      Le texte se veut volontairement ouvert, afin que chacunex puisse y trouver ce qui lui plaît. La liste d’exemples est longue et fournie et si le vandalisme ne vous intéresse pas vous avez un large choix d’autres options.

      Nous n’appelons pas au vandalisme gratuit mais nous sommes persuadés que dans certains cas cette méthode est efficace pour visibiliser une cause (voir par exemple nos articles sur les jets de peinture à Fribourg (https://lecolvertdupeuple.ch/2020/11/30/pas-touche-a-ma-multinationale/) ou sur les dégradations des golfs (https://lecolvertdupeuple.ch/2023/05/05/dix-raisons-pour-lesquelles-sen-prendre-aux-golfs/)) ou pour atteindre des objectifs précis (par exmeple faire perdre de l’argent à une entreprise malveillante, empêcher un évènement immoral ou écocidaire (conférence de l’ED, Jeux Olympiques, mégabassines, destruction d’une colline, d’une forêt, construction d’un abattoir, etc.) ou tout autre raison militante pertinente).

      En espérant avoir répondu à votre question, cordialement.

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