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Block Friday, le clap de fin (du monde)

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L’affaire Block Friday se termine plutôt bien pour les prévenu·e·x·s, mais est-ce vraiment un signe d’espoir ? La répression semble s’être aggravée ces dernières années et même si le TF reconnaît un certain abus de la part du ministère public fribourgeois, quelles conséquences peut-on vraiment attendre pour les magistrat·e·x·s et la police ?

La fin d’une aventure

Quatre ans plus tard, c’est bien la fin de l’affaire Block Friday. La procédure fut longue et compliquée, parfois désolante, et souvent, il faut bien l’avouer, un peu chiante.

Ce reportage en immersion dans le système judiciaire suisse, que la rédaction vous propose de suivre depuis le début1, touche à sa fin.

En effet, le Tribunal Fédéral a rejeté jeudi dernier2 le recours du ministère public fribourgeois concernant le jugement de 2ème instance rendu le 30 novembre 20223. Le procureur Fabien Gasser n’avait pas apprécié que les juges cantonaux ne retiennent pas la contrainte. Malheureusement pour lui, le voilà désavoué une seconde fois, cette fois par la plus haute instance judiciaire du pays. Cela ne surprendra pourtant personne d’apprendre que l’action organisée par XR Fribourg le 29 novembre 2019 était protégée par les garanties de liberté d’expression et de liberté de réunion. Pourtant, le juge de première instance M. Chassot et le procureur M. Gasser ont tous deux délibérément choisi d’ignorer ces droits fondamentaux des activiste·x·s, dans le but assumé de punir et criminaliser le fait de manifester pour la protection du climat.

Cette décision est ironiquement tombée à la période du black friday de cette année, mais également le jour où plus de 200 étudiant·e·x·s de l’UNIL ont été violemment réprimé·e·x·s par une cinquantaine d’agent·e·x·s de police alors qu’iels exerçaient cette même liberté d’expression et de réunion. En effet, il n’y a rien de criminel à manifester son opposition à la venue des présidents Macron et Berset sur le campus, ni à dénoncer leur hypocrisie climatique et coloniale dans le contexte du génocide perpétré par Israël dans la bande de Gaza occupée.

L’État et les lois partout, la justice nulle part

Est-ce que pour autant on peut dire que l’État ne respecte ses propres lois que quand cela l’arrange ? Et qu’il n’hésitera jamais à abuser de son pouvoir ? Puisque de toute façon même si des années plus tard le TF lui donne tort il n’y a jamais aucune conséquence pour les flics, juges, procs et autres ? La réponse est dans la question.

Et aujourd’hui n’est pas différent, et hier, la catastrophique évacuation de la ZAD du Mormont n’était pas différente4. Cette décision du Tribunal Fédéral ne doit en aucun cas nous redonner espoir en la justice. Comme le veut la formule, tous les flics sont des bâtards, et tous les juges aussi, le système est biaisé et injuste par essence. On notera d’ailleurs que les méthodes employées par la police vaudoise à l’UNIL étaient particulièrement indignes (peut-être un hommage aux méthodes employées par son homologue française sous la houlette de Macron et de l’abject Darmanin ?)5. Elle s’est contentée de nasser, sprayer et taper un peu. Les personnes qui ont été mises en garde à vue ont été relâchées sans chef d’accusation. En plus d’être un clair aveu d’abus de pouvoir, cela empêche les victimes de se défendre car à moins qu’il y ait des dépôts de plaintes, il n’y aura aucune trace administrative de cet événement et iels n’auront même pas la satisfaction quelque peu amère que le TF leur donne raison dans 4 ans.

De toute façon, le mal est fait. Cette impunité systématique et générale est une des raisons qui nous font dire que le système judiciaire suisse est bancal et inefficace6. C’est une des raisons qui nous font dire que tous les flics sont des bâtards, que la police et la justice sont des outils qui protègent l’ordre bourgeois, mais qui ne sont en aucun cas au service de la population. Parce que si c’était le cas, messieurs Gasser et Chassot auraient dû démissionner pour faute grave ; M. Cottier et Mme Métraux aurait été démis·e de leurs fonctions ; la justice vaudoise aurait poursuivi Holcim et non pas les zadistes ; et les agent·e·x·s présent·e·x·s à l’UNIL jeudi matin n’auraient pas gazé et frappé des étudiant·e·x·s pacifiques qui cherchaient seulement à dénoncer le silence complice des États suisse, français et européens tout en apportant leur soutien au peuple palestinien.

Où est la justice dans la répression de cette manifestation ? Où est la justice dans l’évacuation de la ZAD ? Dans l’acharnement du ministère public fribourgeois (et des autres cantons) envers les activist·e·x·s du climat ? Dans l’incarcération prochaine de Nikoko7, militant écologiste vaudois, ou de Jérémy*8 avant lui ? Je pourrais continuer encore longtemps mais je pense que vous saisissez le concept.

Après eux le déluge

Qu’on parle de la catastrophe climatique et de l’effondrement de la biodiversité ou d’un des nombreux génocides en cours sur notre planète9, l’urgence est de plus en plus grave et chaque jour qui passe est un jour de perdu. Un pays qui traite ainsi ses militant·e·x·s, activiste·x·s et citoyen·ne·x·s envoie le message que le statu quo est la priorité, que l’ordre doit régner et que toute contestation est interdite. Pourtant, tout le monde sait que sans changement drastique, la survie de l’espèce humaine est gravement menacée. Alors quoi ? Le capitalisme à tout prix et après eux le déluge ? Il semblerait que les libérales-démocraties occidentales sont plus prêtes à sacrifier la liberté, la souveraineté voire l’intégrité de leur population plutôt qu’un mode de production prédateur et inégal au possible.

Notre espoir est que les populations en question sont d’un avis différent, et que plutôt que de céder aux sirènes de l’ordre et de la sécurité, de la haine xénophobe et du fascisme, nous aurons la force et le courage de nous élever pour la vie, pour la liberté et l’égalité, pour des conditions plus justes pour touxtes, à commencer par les opprimé·e·x·s. Montrons-leur que nos rêves sont bien différents des leurs, et que nous avons encore la rage de nous battre. Saisissons la moindre opportunité pour leur prouver que nous ne voulons pas de leur idéologie crasse, infiltrons les interstices, vivons en marge, renversons les normes ! Le Tribunal Fédéral reconnaît «qu’en l’absence d’actes de violence, les pouvoirs publics [doivent] faire preuve d’une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques non-autorisés, afin que la liberté de réunion (art. 11 CEDH) ne soit pas vidée de sa substance.»10, profitons de cette occasion, pour une fois que la jurisprudence nous est favorable !

La fin de cette affaire n’est pas la fin de la lutte, et si le découragement se fait parfois sentir avec l’impression que rien n’a changé en quatre ans11, ce n’est pas le moment de lâcher, bien au contraire.


  1. Pour plus d’informations, retrouvez notre série d’articles, le reportage sur le procès de première instance, ou encore le documentaire de la RTS État de nécessité.
  2. Relaté ici dans La Liberté.
  3. Articles de Frapp sur le verdict et le recours au TF.
  4. Le coup de gueule de la rédaction.
  5. Plus d’infos dans ce communiqué des jeunes POP Suisse sur Instagram.
  6. Ou plutôt qu’il est efficace mais pas pour les objectifs qu’il prétend.
  7. Soit dit en passant, cette affaire est encore une preuve supplémentaire qu’il ne faut jamais collaborer ou faire confiance à la police, et qu’il vaut mieux toujours faire opposition sans quoi ils nous la feront à l’envers. Plus d’infos sur le site créé en soutien à Nikoko ou sur l’insta de XR Lausanne.
  8. Retrouvez ici notre point de vue sur l’affaire.
  9. Liste non exhaustive dans cet article.
  10. ATF 6B 246/2022
  11. Notre dernier article aide cependant à contrebalancer ce sentiment.

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