Les menaces, intimidations ou expulsions dont les mouvements estudiantins pro-palestiniens ont été la cible ces dernières semaines sont choquantes, mais sont-elles légales ? Les moyens déployés par les universités et hautes écoles sont-ils justifiés au regard de la loi suisse et du droit international ? Ou violent-ils plusieurs droits humains fondamentaux ? La réponse est peut-être dans la question…
Un mouvement qui a le vent en poupe…
La Coordination Estudiantine pour la Palestine est le nom qu’a pris en Suisse le mouvement d’occupation des universités et hautes écoles. Pour rappel, ces occupations ont pour but de visibiliser et dénoncer les crimes impérialistes et génocidaires commis par l’Etat d’Israël en Palestine. Plusieurs autres revendications sont également adressées aux instutions académiques suisses et à swissuniversities, notamment un boycott des relations académiques et de recherche avec Israël ; une dénonciation publique des crimes de guerre commis en Palestine et un positionnement ferme en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et permanent ; ou encore un soutien concret et indéfectible aux étudiant·e·x·s, chercheureuses et scientifiques gazaoui·e·x·s, par exemple au travers d’un programme d’accueil (comme cela avait été mis en place lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie). On observe actuellement une dizaines d’instances de ce mouvement, réparties par cantons1, et leur nombre ne cesse d’augmenter2. D’ailleurs, si l’idée te vient d’ajouter ta pierre à l’édifice et de lancer un mouvement dans ton école, voici une brochure qui te sera fort utile !
Le mouvement reçoit également de plus en plus de soutien de toutes parts ! A Fribourg, plusieurs communiqués de presse ont déjà été publiés (notamment par la jeunesse socialiste, les jeunexs vert·e·x·s et les jeunes POP) pour manifester un soutien à la mobilisation. On peut également noter une lettre de soutien, déjà signée par plus de 70 membre·x·s du corps professoral et administratif de l’UNIFR, ainsi qu’une lettre de deux députés Tessinois adressée directement à la rectrice pour lui demander de ne pas faire usage de la violence policière contre ses étudiant·e·x·s. L’Association Générale des Etudiant·e·x·s de l’Université de Fribourg (AGEF) a également donné raison aux activistes par l’acceptation d’une motion allant dans le sens de leurs revendications, sans pour autant apporter son soutien officiel au mouvement d’occupation. Vous pouvez suivre tous ces rebondissements en temps réel sur notre LIVE !
… mais qui est violemment réprimé !
Actuellement et depuis le début, une répression sans précédent s’abat sur ce mouvement qui est pourtant systématiquement et strictement non-violent. Les occupant·e·x·s sont intimidé·e·x·s, menacé·e·x·s, réprimé·e·x·s et même évacué·e·x·s violemment (parfois menotté·e·x·s) par la police3. A Fribourg aussi, le rectorat a demandé à la police d’évacuer le bâtiment PER21 ce vendredi vers 15h, les étudiant·e·x·s ont préféré quitter les lieux de leur propre chef suite à la sommation de la police afin d’éviter toute répression juridique inutile. Cette réponse est-elle adéquate au sens du droit national et international ? Les universités, EPF et HES font-elles preuve de proportionnalité en ne tolérant pas les mouvements pacifiques, même d’occupation ? La neutralité académique est-elle un argument suffisant pour justifier autant d’acharnement à cacher, invisibiliser la cause Palestinienne ou les crimes de l’Etat d’Israël ? Et est-ce vraiment une position tenable de prétendre qu’il est « neutre » de, d’une main, dégager manu militari les étudiant·e·x·s dont la colère et l’incompréhension semblent légitimes, tout en organisant de l’autre des collaborations et programmes de recherche avec un Etat suspecté de génocide par la CIJ ?
En Suisse, la question du droit de manifester et plus généralement du respect des droits humains fondamentaux ne date pas d’hier, comme en témoigne cet article de Human Rights qui date d’il y a plus de 10 ans. Amnesty International mais aussi la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappellent constamment la Suisse à l’ordre. Par exemple la CEDH a condamné la Suisse en 2022 pour les interdictions de manifester prononcées en 2020 au début du COVID4. La Suisse est aussi régulièrement « épinglée », comme aiment le dire les journalistes, pour des cas concrets et divers de répression de manifestations5. Enfin, les législations cantonales sont souvent trop restrictives et inutilement sévères vis-à-vis du droit de manifester, ce qui peut aller jusqu’à les rendre « incompatibles avec le droit international »6.
Les bases légales en Suisse
L’infraction qui a été invoquée principalement par les institutions qui ont porté plaintes contre leurs étudiant·e·x·s est la violation de domicile (art. 186 CP). Cet article est relativement facile à invoquer car il suffit de « demeurer au mépris d’une injonction de sortir » dans un lieu autre que son propre domicile. Cependant, il est intéressant de noter que toutes les universités ont retiré leur plainte immdiatement après les évacuations. Douteraient-elles de la solidité et de la légitimité de leurs accusations ? Estiment-elles qu’un procès aurait trop peu de chances d’aboutir à une condamnation ? Ou veulent-elles simplement éviter les frais de justice qui s’en accompagnent ? Probablement un peu de tout ça. On assiste à un détournement de la fonction première de la plainte, qui est déposée en sachant qu’elle n’a aucune chance d’aboutir, juste parce qu’elle est nécessaire pour déclencher une intervention policière. Par la suite, ces plaintes ridicules et injustifiées sont retirées, mais le mal est fait.
Encore une fois, ces situations mettent en lumière le caractère bancal, inefficace et injuste de la justice suisse. Les cas sont différents, mais la tendance est similaire que lors de la répression des mouvements écolos. Le problème principal est aussi encore le même : le caractère illégal des plaintes, des dispersions de manifestations ou des évacuations n’est révélé que bien plus tard, après un procès ou après une enquête des ONG, et là encore, le mal est déjà fait. Le mouvement a été épuisé, censuré, silencié, et la manifestation interrompue. Mais nous voyons très bien ce petit jeu auquel jouent les universités, détourner ainsi le droit pour réprimer à court terme des manifestations qui ternissent leur image, puis retirer les plaintes avant que leur absurdité et leur disproportionalité aient pu être mises en lumière par un tribunal, afin de ne pas avoir à en assumer les conséquences, est contraire aux valeurs que ces institutions sont censées véhiculer et même carrément indigne d’une société prétendument démocratique.
Les bases légales internationales
Au niveau du droit international, la situations est on ne peut plus claire, des experts de l’ONU et Amnesty International ont rappelé cette semaine encore à quel point les mouvements étudiants sont importants pour la défense et la promotion des droits humains partout dans le monde, et que ces mouvements ne sauraient en aucun cas être réprimés ou silenciés. Amnesty souligne également que les méthodes employées sont particulièrement contraires aux rôles et responsabilités des universités. Le droit de se rassembler et de manifester doit être protégé en tout temps et tout lieu, la seule exception étant une violence généralisée ou des appels à la violence. De plus, les principes de légalité, de légitimité et de nécessité doivent être respectés en cas de restriction du droit de manifester, et les dispersions de manifestations pacifiques ne doivent avoir lieu qu’en dernier recours. Même le dépôt d’une plainte n’est pas suffisant pour ordonner automatiquement la dispersion immédiate d’une manifestation d’après le droit international.
La conclusion c’est toujours la même de toute façon
Dans un climat de montée de l’extrême-droite et des discours et tendances fascisantes partout en Europe et dans le monde, face au recul des droits démocratiques7, ces revirements autoritaires sont particulièrement inquiétants. D’autant plus de la part d’institutions censées incarner des valeurs d’ouverture, d’esprit critique, de liberté d’expression, de dialogue, qui étudient et enseignent l’histoire, les sciences politiques et le droit international et que l’on tient en grande partie pour responsables du progrès scientifique et social. Qu’on se le tienne pour dit, la répression des mouvements sociaux pacifiques, quels qu’ils soient, est illégale et constitue une atteinte grave à plusieurs droits fondamentaux.
Heureusement, il est des gens qu ne se laissent pas décourager ! Heureusement, les étudiant·e·x·s n’ont pas dit leur dernier mot ! Heureusement, la lutte est encore possible, et plus que nécessaire ! Ce qu’on a longtemps appelé le « conflit » Israélo-Palestinien, et qui se révèle être un génocide pur et simple, ne laisse pas vraiment de place au doute. Soit on est du côté de l’opprimé·e·x, soit on est du côté de l’oppresseur·se·x. Pour l’instant, les complices sont encore nombreux, mais grâce à la mobilisation et à la détermination sans faille de la CEP et d’autres collectifs, la justice peut triompher.
- CEP Fribourg, CEP Lausanne UNIL, CEP Lausanne EPFL, CEP Genève UNIGE, CEP Genève HEAD, CEP Neuchâtel, CEP Berne, CEP Bâle, à noter également CEP HES-SO (suisse romande) et CEP Zürich et Lucerne dont je n’ai pas trouvé les comptes insta
- Vous pouvez lire cet article du Temps si vous y êtes abonné·e·x.
- Voir par exemple les évacuations à Genève, à Neuchâtel, et dans les deux EPF de Lausanne et Zürich
- Analyse du jugement par LawInside, notre intégrité journalistique et notre honnêteté intellectuelle nous poussent à indiquer que la condamnation a ensuite été annulée, mais pour des raisons qui découlent de la forme et non pas du fond.
- Voir cet article de FRAPP par exemple, également relayé par swissinfo
- d’après Amnesy International (voir : Suisse, législation répressives. Il faut zoomer sur la carte pour accéder aux infos), voir aussi cet article.
- Voir cet article du Monde