Jeudi 11 septembre se tenait une assemblée générale extraordinaire pour les salarié·es de la fonction publique et parapublique fribourgeoise. Ils et elles étaient environ 250 à discuter du Plan d’Assainissement des finances de l’Etat (PAFE). Allant plus loin que ce que les organisations représentant le personnel (SSP, FEDE, FOPIS) proposaient, l’Assemblée a voté une manifestation le 24 septembre et une journée d’actions et de grève le 1er octobre.
PAFE ce sera une grève !
La grève a été votée par 112 voix contre 87. Ce n’était donc pas une unanimité. C’était même plutôt serré. Précisons immédiatement que les personnes qui ont voté contre la grève manifestaient en grande majorité leur doute par rapport à la mise en oeuvre de ce mode d’action – et aucunement un soutien au PAFE ou une indifférence par rapport à celui-ci. Mener une grève dans les services publics, c’est très difficile car les désagréments incombent finalement à la population et aux collègues qui doivent assurer un service minimum. Par exemple, la Société Pédagogique Fribourgeoise Francophone (SPFF) rassemblant les enseignant.es de l’école primaire a tôt fait savoir que la grève pour toute la journée n’était pas une option, mais qu’un débrayage serait privilégié avec une prise en charge des enfants.
Les raisons de tous ces employé.es vénères
La colère est largement partagée – y compris par les personnes doutant de la grève. Pourquoi une telle colère de la base ? Evidemment il y a d’abord dans le PAFE une série de mesures qui visent à couper dans les salaires (en reportant le passage des paliers, en repoussant l’indexation des salaires à l’inflation, etc.). Le SSP a chiffré ces coupes salariales, qui montrent dans les colonnes de droite les pertes cumulées pour les différents salaires sur trois ans – et qui indiquent qu’après la consultation, la version finale du PAFE touche encore plus les salaires les plus bas !


Ce qu’il faut absolument marteler concernant ces coupes salariales, c’est l’absence de progressivité : les plus bas salaires sont les plus touchés. Venant d’une entreprise privée, ce serait rageant et une nouvelle preuve des inégalités sociales qui se creusent. Venant de l’Etat, c’est inadmissible et ça ne passe pas.
Pour les salarié·es de l’Etat, c’est même la triple peine : non seulement leur salaire est touché, mais comme le reste de la population, d’une part ils et elles vont payer plus (un exemple parmi d’autres : la facture pour une personne en EMS va passer de 13 francs à 23 francs par jour), et d’autre part ils et elles vont voir diminuer les prestations de l’Etat. Et on n’évoque même pas l’argent épargné par l’Etat en abandonnant des projets qui doivent baisser les émissions de gaz à effet de serre ou protéger la biodiversité.
Mais il y a encore autre chose qui explique la colère des salarié.es, qui dépasse le PAFE et qui est moins chiffrable, plus latent. Discuter avec des infirmier·ères à l’hôpital, avec des enseignant.es au CO, avec des personnes travaillant en EMS ou dans la petite enfance – c’est entendre des histoires qui se ressemblent souvent : perte d’autonomie, bureaucratie grandissante et parfois absurde, manque de temps et de moyens pour faire les choses comme il le faudrait, suppression de postes sur le terrain au profit de postes de bureau, etc.
Ces modifications d’ampleur qui secouent de manière générale le monde du travail font d’autant plus mal quand il s’agit du service public, dans lequel les salarié·es travaillent pour servir la population et oeuvrer au bien commun dans un souci d’égalité et de justice. Des expressions qui se vident chaque jour un peu plus de leur sens. Stress, impuissance, burn-out : comment demander à des salarié·es de prendre soin de la population quand l’Etat-Employeur travaille à les mettre toujours plus en concurrence et à surveiller les moindres coûts dans un esprit de défiance ? Car le pire est encore à venir : on en veut pour preuve le désir du Conseil d’Etat de retirer le personnel de l’Hôpital fribourgeois (HFR) et du Réseau fribourgeois de santé mentale (RFSM) de la loi sur le personnel, ou l’idée de généraliser des salaires au mérite (!).
A toutes ces différentes raisons s’ajoute une dernière, dont toutes les organisations représentant les employé·es ont fait désormais l’expérience : l’absence de véritable dialogue. Ainsi s’explique le recours à l’outil le plus radical du répertoire d’actions traditionnel des travailleurs·euses pour se faire entendre : la grève.
Quelle grève ?
En votant la grève, l’Assemblée générale a renvoyé la balle dans le camp des employé.es de l’Etat. Avant le 1er octobre, deux options leur sont offertes – donner une chance à cette grève ou l’ignorer.
Lui donner sa chance, c’est participer un tant soit peu à sa préparation – qu’on la fasse ensuite ou qu’on ne le fasse pas, peu importe. Ça devrait être tout simple (même si ça ne l’est pas toujours) : en parler au travail, organiser une première réunion, écouter les peurs légitimes, s’informer sur ses droits, et discuter ensemble d’un mode d’action.
Lui donner sa chance, ça concerne aussi les non-salarié.es de l’Etat : c’est parler PAFE avec la famille, avec les ami.es, faire comprendre que la grève ne défend pas que les salaires, elle défend aussi des acquis sociaux. Et éventuellement trouver des manières de faire solidarité avec la mobilisation.
A l’instant où elle est votée, la grève n’est encore pas grand-chose : guère plus qu’une nouvelle information, une page dans la Liberté et deux minutes dans le journal télévisé. Charge à nous qui croyons dans les services publics de faire preuve d’inventivité et de courage pour qu’elle puisse non seulement se réaliser et servir dans le rapport de force pour faire plier le PAFE, mais ouvrir des espaces de discussion pour réfléchir ensemble, depuis la base, sur l’état de nos services publics et sur les transformations à imaginer.
PS : au Colvert, on a décidé de lancer un stream les dimanches soirs, une semaine sur deux, sur les services publics et sur le PAFE. L’idée est de monter des émissions divertissantes où l’on invite des personnes travaillant dans les différents services publics. L’émission est filmée en direct et c’est public : venez au Terrier, rue Pierre-Aeby 7.
Nous suivre en live ici : https://www.twitch.tv/sans_peur_et_sans_pafe
Ou regarder les VOD ici : https://www.youtube.com/@leColvertduPeuple

Le contexte en quelques mots
Pour celles et ceux qui n’auraient encore jamais entendu parler du PAFE, c’est un plan « d’amélioration » du budget du canton de Fribourg en prévision des déficits à venir. Nous le décortiquerons plus en détail dans un article ultérieur. Disons simplement ici que pour compenser ce trou prévu dans la raquette, le Conseil d’Etat a proposé une centaine de mesures permettant au Canton « d’améliorer » de 405 millions de francs sur 3 ans (quand le budget du canton est d’un peu plus de 4,3 milliards par année).
En prévision des discussions au Grand Conseil qui devraient avoir lieu en octobre, deux mouvements s’organisent parallèlement. D’un côté les partis de gauche en prise contre une droitisation de politique de laquelle découle ce PAFE qui va affaiblir les services publics. Et d’un autre côté les organisations qui représentent les salarié.es de l’Etat – car les chiffres sont clairs : le PAFE repose en bonne partie sur le personnel de l’Etat (et en particulier les personnes touchant des salaires les moins élevés) via des coupes salariales et la dégradation des conditions de travail.
Chose rare dans le paysage fribourgeois : les organisations représentant les salarié.es sont unies, symptôme de la gravité de la situation. Qu’il s’agisse du Syndicat des services publics (SSP), de la faîtière des associations du personnel de l’Etat (FEDE) ou de la Fédération des organisations du personnel des institutions sociales fribourgeoises (FOPIS) – tous tirent à la même corde et l’Assemblée Générale extraordinaire du 11 septembre était co-organisée par les trois organisations.