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Tous les réfugiés sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres

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Un accueil « rapide et généreux ». Voici les mots utilisés par la Commission Fédérale des Migrations pour décrire la politique migratoire que la Suisse est prête à mettre en place en faveur des réfugié·e·s ukrainien·ne·s. La plupart des Etats limitrophes du pays en guerre, (à savoir: la Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, la Moldavie, et la Roumanie) accueillent eux aussi à bras ouverts, et ce depuis le début de l’invasion russe, les citoyen·ne·s fuyant les bombes. Il ne s’agira évidemment pas de critiquer la posture d’hyperactivité humanitaire et d’accueil quasi inconditionnel des Etats occidentaux face à cette guerre mais bien plus d’en relever les paradoxes. Car à l’écoute de cette ode humaniste, certains accords sonnent faux. Les migrant·e·s d’Afrique et du Moyen-Orient sont-iels aussi bien accueilli·e·s en Suisse ? Les frontières ukrainiennes sont-elles perméables de la même manière pour toustes ?


Face aux dénonciations de double standard évoqués par nos lointains cousins que sont les médias de masse, nous préférerons le terme d’asile racialiste. Et non sans raison. Le racisme transpire de partout dans cette crise. Dans la fuite du pays d’abord, qui s’avère être une entreprise beaucoup plus périlleuse pour les personnes noir·e·s (majoritairement Nigérian·ne·s, Indien·ne·s et Libanais·e·s) que pour les blanc·he·s. Accès aux bus et trains refusés, relégation au fin fond des files d’attente, blocage aux frontières…1 Les récits s’enchaînent. Première prise de conscience, violente, du privilège de la couleur, de l’endroit où par pur hasard, chacun·e a été mis·e au monde. 

Plus flagrant encore, la politique d’asile des bras ouverts pour les Ukrainien·ne·s, alors que de leurs pieds les pays européens foulent les droits humains des syrien·ne·s, afghan·ne·s et autres réfugié·e·s du Moyen Orient. Statut de protection spécial (permis S en Suisse) pour les un·e·s, renvois, expulsions ou conditions de vie parfois inhumaines dans des centres d’asile pour d’autres2. Impossible donc de saluer l’élan de générosité des pays occidentaux sans souligner leur hypocrisie crasse. Et avec notre mémoire encore à vif des événements de 2020 à Lesbos quand un camp de réfugié·e·s avait brûlé, on ne peut que hurler au cynisme devant les dispositions qui avaient été prises par notre pays suite à cette tragédie : la Suisse accueillera 20 mineurs non-accompagnés, c’est tout3. Alors qu’aujourd’hui on pourrait croire que si l’Ukraine entière se vidait de sa population, si ses 40 millions d’habitant·e·s fuyaient vers l’Europe, on ne manquerait pas de place pour les accueillir toustes (et sûrement dans des conditions plus potables que ce qui est de mise dans certains camps). 

Ces discours paradoxaux semblent parfaitement assumés par certain·e·s journalistes et politicien·ne·s, à l’image du présentateur du canal anglais de la chaîne Al Jazeera qui jetait, tout naturellement, au sujet des réfugié·e·s ukrainien·ne·s que « Ce sont des gens prospères, de la classe moyenne. Ce ne sont manifestement pas des réfugiés qui essaient de fuir des régions du Moyen-Orient… de l’Afrique du Nord. Ils ressemblent à n’importe quelle famille européenne dont vous seriez le voisin »4. Des bavures comme celle-ci, il y en a eu en série. Ainsi sur Cbs News on a pu entendre que Kiev était une ville « relativement civilisée, relativement européenne »5 contrairement aux cités d’Irak ou d’Afghanistan. Ou ce député français qui a osé un « on aura une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit ». Et encore sur BFMTV : « On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime (…). On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie »6​​​​​​​. Karine Keller-Sutter, elle aussi, peine à justifier ce double standard au micro d’un journaliste. C’est avec le GPS de sa Tesla qu’elle hiérarchise les guerres. « Kiev étant à 24h de route de Saint-Gall », le conflit le plus proche serait donc, d’après elle, le plus cruel. Oublie-t-elle que la Méditerranée, devenue le plus grand cimetière d’Europe, se trouve à moins de 6h de son palais doré ? Et que tout le monde ne va pas à la mer pour manger des huitres au caviar sur une terrasse ? Elle finira par esquiver la question du journaliste en un triple salto arrière: « En Afghanistan, il n’y avait pas de guerre. »7 On vous laisse l’honneur de mettre une note sur son acrobatie.

Des propos qui, pour la plupart, ont fait couler de l’encre et nécessité des excuses publiques. Mais qui ont tout de même été prononcés, avec spontanéité, et cela suffit à conclure à un racisme profond, ancré dans les chairs et dans les esprits de nos sociétés occidentales. À mettre en lumière aussi, de manière plus crue, nos politiques d’asile qui, bien que ne s’exprimant pas en des termes aussi choquants, organisent et planifient la question de la migration de manière fondamentalement raciste. En deux poids deux mesures. 

Par quelle distorsion peut-on croire et accepter que fuir un régime impérialiste, craindre pour sa vie n’ait pas la même signification pour tout le monde ? Que certaines vies, certaines histoires, certains parcours méritent plus le soutien ? Que parce que plus proches, plus semblables, issu·e·s d’un Etat « suffisamment démocratique », les Ukrainien·ne·s sont plus dignes de notre empathie ? C’est à se demander où sont passées ces bonnes vieilles craintes de l’autre, de l’étranger, que notre très chère UDC s’est appliquée à distiller dans l’air depuis tellement d’années. 

Ces positionnements témoignent de racisme, mais pas seulement. Les enjeux de cette guerre sont économiques et stratégiques avant d’être poussés par de pures considérations de Droits humains (sans être expert·e·s en géopolitique, nous osons affirmer que les causes de ce genre de conflits sont en partie à aller chercher dans le capitalisme). Les pays occidentaux ont tout intérêt à affirmer fortement leur appartenance au bloc de l’Ouest en se positionnant contre la Russie. Et l’accueil des réfugié·e·s devient ainsi un geste politique. En 1956 c’était aux migrant·e·s hongrois que la suisse (comme d’autres pays occidentaux) avait déroulé le tapis rouge8. À ce moment aussi, cet accueil chaleureux et quasi inconditionnel dénotait plus d’un parti pris que d’une générosité pure. Le parti de l’anticommunisme. Aujourd’hui, un autre bouleversement géopolitique, mais en arrière-fond, la même petite mélodie. Celle d’empires qui s’affrontent et utilisent l’arme de l’asile d’un point de vue stratégique. Une aide intéressée derrière une vitrine de compassion sincère. 

Heureusement, une grande partie de la population suisse ne porte pas la cravate du cynisme. À Fribourg, la solidarité s’organise chez l’habitant·e. Plus de 450 places dans quelques 170 familles sont mise à disposition des réfugié·e·s via l’action citoyenne Osons l’accueil. La société civile, une fois de plus, est présente pour réparer les pots cassés du capitalisme de guerre. Le peuple à compris que la solidarité ne se traduit pas par le port d’écharpes aux couleurs du drapeau ukrainien.9 ? Nous sommes persuadées que les Suisses et Suissesses seraient prêt·e·s à accueillir chez elleux des réfugié·e·s d’autres pays, même si celleux-ci auraient eu la mauvaise idée de ne pas naître blanc·he·s et chrétien·ne·s. Pour ça, faudrait-il peut-être que nos politicien·ne·s arrêtent de diaboliser l’Islam, de nier qu’une guerre civile est une vraie guerre, de créer un climat de peur à l’aide de campagnes de votations fascisantes et d’entasser les mauvais·e·s étranger·ère·s dans des centres d’asile avant de les renvoyer chez elleux, slalomer entre les bonnes bombes

Sous le vernis d’une nécessaire solidarité avec un peuple attaqué, les vrais visages de nos Etats occidentaux sont dévoilés. Visages stratèges, visages calculateurs et visages racistes. A l’aube d’une crise climatique où les réfugié·e·s se compteront bientôt par centaines de millions, la politique et leurs médias ont le devoir de déshumaniser les mouvements de populations. Vagues, quotas, flux… Le lexique mathématique utilisé chaque jour n’est pas un hasard. Il a pour but d’algébriser l’équation, et de faire disparaître les femmes, les hommes et les enfants derrière des X et des Y. De manière que, comme à l’école, iels ne restent dans nos têtes que des inconnues.
Pour nos gouvernements, le migrant est une monnaie sonnante (et surtout trébuchante), mais dont toutes les devises ne se valent pas. Dans notre pays de banquiers, les courbes sont toutes planifiées. 


  1. https://www.rtbf.be/article/accusations-de-racisme-envers-des-africains-et-des-indiens-qui-tentent-de-quitter-lukraine-que-sait-on-10945008
  2. https://www.swissinfo.ch/fre/apr%C3%A8s-l-ue–la-suisse-va-accorder-un-statut-sp%C3%A9cial-aux-r%C3%A9fugi%C3%A9s/47403042
  3. https://www.tdg.ch/enfer-des-refugies-de-lesbos-la-suisse-ne-fait-rien-557556093443
  4. https://www.voaafrique.com/a/guerre-en-ukraine-accusations-de-racisme-envers-les-r%C3%A9fugi%C3%A9s-aux-fronti%C3%A8res/6462788.html
  5. Idem
  6. https://www.politis.fr/articles/2022/03/bons-refugies-mauvais-migrants-44148/
  7. https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/la-chronique-politique-de-la-hierarchisation-des-refugies-25806423.html
  8. https://www.rts.ch/archives/tv/information/temps-present/9883323-les-refugies-hongrois-en-suisse.html
  9. https://www.laliberte.ch/dossiers/situation-en-ukraine/articles/la-suisse-a-choisi-son-camp-637624

1 Comment

  1. Merci et bravo pour cet article. Sans manipulation, sans lobbyisme, sans avarice, sans suprématie. Tout ce qu’il y a de plus juste et neutre. Le journalisme intellectuel se fait si rare… Merci de conscientiser Fribourg.

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