Ce dimanche 25 septembre, nous sommes appelé·es à voter sur une initiative inutile contre l’élevage intensif.
L’initiative sur l’élevage intensif veut imposer à toutes les exploitations d’élevage le Cahier des charges 2018 de Bio Suisse en matière de conditions de détention (espace disponible, taille des troupeaux, sortie…). Elle aimerait aussi appliquer ces exigences aux produits d’origine animale importés.
Championne du monde
Soyons clairs dès le début. La Suisse est la meilleure au monde en matière de protections des animaux. Le bien-être des bêtes est déjà très élevé et des contrôles sont effectués. Bon, il est vrai que lorsque des militant·es animalistes viennent illégalement filmer dans des exploitations privées, iels en ressortent avec des vidéos peu agréables à regarder1. Mais en même temps, avec plus de 20 000 poulets dans les hangars, il est difficile de contrôler chacun de ces petits êtres sensibles dont nos paysan·nes s’occupent 7 jours sur 7.
Croyez-moi, la Suisse est le seul pays au monde dont la législation limite les effectifs. Allez voir en Chine comment ça se passe ! Chez nous, l’élevage repose sur des exploitations familiales. Le maximum étant fixé à 27’000 poulets de chair par halle, 18’000 pondeuses, 1’500 porcs et 300 vaches. C’est des grandes familles, mais c’est des familles. L’initiative voudrait réduire drastiquement cette capacité par exploitation. 4’000 poulets par ferme… Et puis quoi encore, on devra leur donner des noms aussi ?
Le texte demande un accès quotidien à l’extérieur pour tous les animaux. C’est vrai que seuls 12% des animaux profitent de ce luxe aujourd’hui, mais imaginez un peu la place supplémentaire qu’il faudrait et les travaux nécessaires à ces changements. Il paraît que l’initiative prévoit un délai de 25 ans pour se mettre à niveau. Ça pourrait être faisable, mais dans le doute, on va voter non.
Selon le Conseil fédéral, seuls 5% des exploitations suisses devraient changer leurs manières de fonctionner2. Ce n’est donc pas insurmontable, mais les paysan·nes ont décidé d’être solidaires, un peu poussé·es dans le dos par de nombreux groupes d’interêts3 rassemblés par l’USP. Des lobbys qui, étrangement, se font autant discret que lors des votations pesticides de l’année passée.
Carte postale
En Suisse, nous élevons environ 16 millions de bêtes. Tous ces animaux vivent heureux, jusqu’à leur mort heureuse.
Les poulets vivent 5 semaines de rêves, surtout s’ils ont la chance d’être parmi les 8% ayant accès à l’extérieur. Que feraient-ils de leurs 8 ans d’espérance de vie ? Ils s’emmerderaient non ?
Les poules pondeuses, elles, peuvent profiter du soja brésilien pendant plus d’une année ! Bien sûr, dans cette filière, mieux vaut naître femelle que mâle, sinon, par souci de rentabilité, c’est l’euthanasie en sortant de la coquille. Le broyage sans anesthésie des poussins est interdit depuis 2020. Deux ans avant la France ! Nous sommes les meilleurs pour bien tuer les poussins.
Pour les porcs, j’avoue que c’est un peu triste. Ils ont l’intelligence d’un chien et on les abat après 5 mois d’engraissement, sur leurs 15 ans d’existence présumée. Mais il faut bien qu’on mange non ? Et ils sont quand même 50% à avoir accès à l’extérieur, même si j’avoue voir davantage de renards que de cochons dans les prés. Au moins, en hiver, ils se tiennent chaud, à 10 sur l’équivalent d’une place de parc.
Et pour les bovins, sur leurs 20 ans d’espérance de vie, le dé du destin a 3 faces.
- Vous êtes un boeuf. Vous vivrez 20 mois avant de vous faire charcuter.
- Vous êtes une laitière. 5 ans de traites et d’inséminations avant la boucherie.
- Vous avez la poisse. Vous resterez un veau et finirez en saucisse insipide dans 5 mois.
C’est vrai que même si on est les meilleurs du monde, je nous qualifierais plutôt de moins pires, mais passons. Le vrai problème de cette initiative un peu inutile, c’est l’importation !
Aie confiaaaance, crois en mooooi
Fermez les yeux. L’initiative est acceptée. Imaginez une Suisse où le prix des produits d’origine animale aurait augmenté de 5 à 20% (selon une estimation de la confédération). Visualisez ces camions et ces bateaux en provenance du reste du monde, remplis de viande, de lait et d’œufs produits dans des conditions désastreuses. Vous les voyez, ces rayons de produits du terroir oubliés des consommateur·ices, qui se ruent maintenant sur des denrées importées. Le nœud coulant se resserrant autour du cou de nos petites exploitations familiales, vous le sentez ? Et bien voilà où cette initiative nous mènerait.
En fermant les yeux, vous êtes peut-être aussi passé·es à côté de l’alinéa 4 du texte proposé, et ceci m’arrangerait grandement. En effet, il est explicitement noté que les importations de produits d’origine animale devraient elles aussi respecter les normes du label Bio Suisse en matière de conditions de détention. En d’autres termes, la Suisse ne pourra pas importer des denrées produites dans d’autres conditions que celle mise en place en sur notre territoire. Et puisqu’il paraît qu’on est les meilleurs du monde, on ne devrait pas importer grand-chose… Produire moins et importer moins, voilà qui devrait permettre aux paysan·nes de pouvoir enfin négocier une marge acceptable avec les revendeurs pas vrai ?
Pourtant le camp du NON crie haut et fort que le risque d’importation est réel. Serait-il de mauvaise foi ? Ce n’est pas leur genre. Iels font simplement quelques erreurs. Comme quand la vice-présidente de L’USP affirme que le nombre d’animaux de rentes diminue en suisse alors qu’il augmente4. Mais on ne lui en veut pas, elle s’est juste trompée d’unité de mesure.

Madame parle en Unité Gros Bétail (UGB) alors que la consommation en kg/personne ainsi que le nombre d’animaux abattus augmentent. En effet, en Suisse, l’UGB diminue très légèrement, pour la simple et bonne raison que nous mangeons de plus en plus de poulets. Voici une mini table de conversion pour mieux comprendre :
- 1 vache = 1 UGB
- 1 porc = 0,17 UGB
- 1 poulet d’engraissement = 0,004 UGB
Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres.
Par exemple, si on tue 1 vache, on a tué 1 UGB. Mais il faut tuer 6 porcs pour dire qu’on a tué 1 UGB. Mieux encore, on peut tuer 250 poulets et dire qu’on a tué 1 UGB. C’est vicieux non ? Et surtout pratique les opposants. Regardez ! Le nombre d’UGB diminue ! On est sur la bonne voie !
Parce que oui, parait que la bonne voie serait de manger un tout petit peu moins de viande… On va bien se faire chier autour du grill.
Une réalité dure à avaler
Mais pourquoi faudrait-il diminuer la viande en fait ? Parce que GIEC a dit ?
J’arrête avec le sarcasme, c’est fatigant.
Je ne vais pas m’attarder sur les conséquences désastreuses de l’élevage sur le climat et la biodiversité. Je ne ferais que répéter ce que d’innombrables études nous démontrent chaque année. Je crois qu’aujourd’hui, un peu de bon sens suffit.
Il a fait chaud cet été. Chaud et sec. Plus besoin d’être météorologue ou agriculteur·ices pour remarquer que l’herbe, à l’exception de celle des golfs, n’était pas très verte. 2022, nous battons le record de l’été le plus chaud enregistré en Europe5. Jusqu’à l’année prochaine. Des camions-citernes et des hélicoptères montent de l’eau dans les alpages. Les désalpes sont précoces, quand les bêtes ne sont pas simplement envoyées à la boucherie encore plus rapidement6. Les paysan·nes s’apprêtent à acheter des tonnes de fourrage pour palier ce qui n’a pas poussé durant cet été caniculaire.
Concernant les poulets et les porcs, ils sont déjà totalement dépendants du fourrage importé, dont le fameux soja brésilien. Selon une étude7 de la Haute école zurichoise de sciences appliquées, si nous arrêtions demain les importations de nourriture concentrée, l’effectif des porcs chuterait à 39% et celui des poulets a 17%. Avec uniquement du fourrage indigène, la Suisse n’est aujourd’hui même pas capable de nourrir la moitié de son cheptel… En 25 ans, les importations de fourrage sont passées de 260 000 à 1,4 million de tonnes par an. 1,4 million de tonnes de croquettes importées, ça représente 160 kg par habitants, soit 3x plus que la consommation de viande par personne et par an. Cherchez l’erreur lorsque les opposants parlent d’une potentielle augmentation des importations…
Un événement récent est particulièrement atterrant. En juillet, 520 jeunes cochons ont été abattus en urgence à Zürich pour finir en pâtée pour chien. Comment cela est-il possible ? Accrochez-vous bien. Ces gorets étaient en route vers l’Allemagne, pépères dans leur camion en pleine canicule. Et puisque l’Allemagne interdit le transport de bétail par grande chaleur (ce qui n’est pas le cas de la Suisse apparemment), ces cochons se sont retrouvés bloqués à la frontière. Et que fait-on de cochons bloqués à une frontière ? On les zigouille et on les file à Médor.
Mais bordel, qu’allaient donc faire ces cochons chez nos voisins du nord ? Et bien figurez-vous que la Suisse produit actuellement trop de porcs et en exporte pour un prix inférieur au plus mauvais steak haché que tu trouveras à Denner. C’est complètement lunaire. Dans l’article8, on nous dit que « Suisseporcs cherche à mettre en œuvre des solutions pour résoudre le problème de la production excessive, et par ricochet, celui des prix trop bas. » Le même Suisseporcs qu’on retrouve dans l’alliance d’opposition à une initiative cherchant à mettre en œuvre des solutions pour résoudre le problème de la production excessive. On marche sur la tête !
Et puis quand on apprend que la moitié des terres arables du pays est utilisée pour nourrir les animaux de rente alors que ces mêmes parcelles pourraient servir à faire pousser des protéines végétales directement assimilables par l’humain, on se rends bien compte du gâchis de place et d’énergie. Notre sécurité alimentaire est catastrophique. Heureusement, l’UDC a la solution miracle9 ! Manger moins de viande ? Ah non, supprimer toutes les parcelles de compensations écologiques (quelques rares bandes de fleurs au milieu des champs de monoculture) pour y faire pousser du maïs. De son côté, le Conseil fédéral, schizophrène, incite le peuple à voter non à l’initiative alors qu’en même temps, il atteste du gaspillage calorifique et énergétique du régime carné10…
Mais la bidoche, c’est sacré. Le bourgeois veut son tournedos rossini, le prolo son cervelas. Le chasseur aime tirer, le McDo gaver, le papa veut griller, la maman mijoter, les enfants peuvent saucer. Toucher à notre assiette, dans une société ultra-libérale, c’est amputer notre sacrosainte liberté. Une liberté qui se goinfre et festoie sur l’agonie de la planète toute entière.
Hors-sol
Descendons de notre anthropo-trône un instant. Comment peut-on, avec tout ce que cela implique, vouloir sauver à tout prix un mode d’alimentation spéciste et écocidaire ? Comment peut-on refuser un texte laissant 25 ans de délai transitoire, alors que nous savons pertinemment que notre terre va déjà avoir du mal à encaisser ces 25 prochaines années ? Qu’allons-nous encore sacrifier pour pouvoir manger de la viande à tous les repas ? 83 millions d’animaux « de rente » ont été abattus en Suisse en 2021. Cela représente près de 7 millions d’animaux par mois, 230’000 par jour, 9’600 par heure, 160 par minute et près de 3 par seconde11. Aurions-nous oublié que c’est de ces vies-là dont nous parlons ? Des êtres vivants ressentant comme nous, la douleur et le plaisir, la peur et la curiosité ? Des animaux affolés, hurlants dans les couloirs des abattoirs, d’un cri insistant et suppliant, qui ne rentrera jamais dans les urnes.
L’humain s’éloigne chaque jour davantage de son environnement, de sa nature. Il se déconnecte, les doigts dans la prise. L’industrie avale les enfants en leur offrant du lait à la récré, la pub fait « tch tch », on pleure les vitrines cassées, on prend un supplément bacon, on lèche nos doigts, gras de sang puis on caresse notre chien.
Alors bien sûr que non, ce n’est pas un texte de loi qui changera grand chose, mais le résultat du vote répondra à une plus vaste question. Une question qui appartiendra bientôt à un monde regretté :
Voulons-nous changer, tant qu’il en est encore temps ?
- https://elevage-suisse.ch/
- https://www.sp-ps.ch
- https://www.non-initiative-elevage-intensif.ch
- https://www.rts.ch/emissions/infrarouge/ 25:00
- https://www.heidi.news
- https://www.rts.ch
- https://www.greenpeace.ch
- https://www.lematin.ch/story/les-520-gorets-ont-fini-dans-la-gamelle-de-nos-animaux-de-compagnie-636751204611
- https://www.udc.ch
- https://www.parlament.ch/
- https://www.swissveg.ch