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Boycotter le boycott

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Devant l’avalanche d’injonctions morales à boycotter cette coupe du monde, les coupoles dorées du régime qatari et celles de la FIFA finissent par être blanchies. Nouvelle coqueluche des médias, qui la déploient dans tous les sens possibles, la question du boycott évacue toutes les autres. De sujet brûlant de politique, questionnant les limites d’un système économique autoritaire, le comportement d’organisations internationales baignant dans la corruption et les nouvelles considérations écologiques et sociales qui traversent nos sociétés, cette coupe du monde est passée à la machine à laver dépolitisante habituelle des médias traditionnels, devenant un simple phénomène de distinction individuelle.


Ducking news ! Ce mercredi 14 décembre, le Colvert vernit son poussin à la Coutellerie : un livre retraçant sa première année (un peu plus) d'existence. Si le sujet du boycott t'intéresse, si tu te poses des questions sur notre fonctionnement, si tu as envie de joindre ta plume aux nôtres ou si tu as juste envie d'être là, à rejoindre le temps d'une soirée notre mare et à partager un jus ou un apéro, viens-nous voir ! Pour plus d'informations, rendez-vous à la fin de cet article ! 

La meilleure des coupes du monde

Cette coupe du monde n’est pas une erreur1. Elle s’inscrit parfaitement dans le patrimoine génétique de la FIFA, dont le fil historique a trempé dans le sang de l’Italie mussolinienne (coupe du monde 1934), dans celui de la dictature argentine (coupe du monde 1978) ou encore dans celui du régime russe de Poutine (coupe du monde 2018). Surtout, l’attribution de la principale fête mondiale du football au pouvoir qatari répond à la principale exigence de la FIFA : se faire de l’argent. Que les Blatter, Infantino et compagnie soient des personnifications de la corruption ne fait même plus l’objet de débats publics, tant ce constat s’impose aux yeux de tousxtes. Que la FIFA continue d’agir de la sorte, avec la complicité des différents gouvernements occidentaux, de la justice internationale et des différentes associations de foot, devrait au moins nous interroger, sinon nous révolter.

Non, cette coupe du monde au Qatar n’est pas une erreur. Au contraire. En s’intéressant aux contours dorés de cette attribution, elle se métamorphose même en chef-d’œuvre cuisiné par la FIFA. Cette coupe du monde, en faisant franchir au ballon rond plusieurs lignes rouges et en le faisant atterrir sur le terrain de la post-vérité, ouvre un nouvel horizon. Qu’importe que les stades sonnent creux : on annonce que le nombre de spectateurs.trices dépasse leur capacité maximum. Qu’importe que les fans boudent en masse le déplacement : on paie des groupes de supporteurs factices. Et surtout, qu’importe que la FIFA et ses complices (en premier lieu le gouvernement français) se retrouvent une nouvelle fois dans la boue : ils y ont désormais élu domicile.

Cette coupe du monde n’est à dissocier ni de la FIFA, ni du football-business, né sous les grands coups de pelle du capitalisme. Cette coupe du monde est la conséquence d’une organisation et d’une gestion capitaliste du football, qui n’ont comme unique boussole que celle du profit. C’est encore mélanger les causes et les effets que de s’attaquer directement à elle, à coups de boycotts impuissants. Pour filer la métaphore, il n’est que de peu d’utilité, lorsqu’un enfant souffre de varicelle, de percer ses boutons. C’est au virus, à la maladie, qu’il faut s’attaquer. Et concernant cette coupe du monde, la maladie est la même que celle qui ronge nos cœurs et nos forêts. Le Qatar est à l’image du monstre capitaliste qui l’a fécondé. En ce sens, l’appel au boycott est un déni. Le déni de reconnaître sa progéniture.

Un boycott sans portée politique

Ce boycott n’a aucune portée politique. Il n’a ni le souhait, ni la prétention de faire naître un rapport de force différent avec la FIFA, avec le régime qatari ou avec le capitalisme. En ce sens, ce boycott est moins un geste politique qu’une marque de distinction signifiant je ne cautionne pas ce désastre. Qu’importe que ce même désastre, écologique, humain et social, soit omniprésent dans nos existences. Qu’importe que le niveau de confort matériel de nos vies dépendent précisément de ces mêmes désastres, de l’exploitation du Vivant et des travailleurs.ses à travers le monde.

L’appel au boycott dessine une frontière morale. Il y a celleux qui boycottent, et les autres. Il y a toutes ces personnes raisonnables, sensibles à l’application des droits humains, au funeste sort réservé à ces milliers de travailleurs morts et au gouffre énergétique que creuse cette coupe du monde, et puis il y a les autres. Les autres, dont on parle peu, mais dont la caractérisation morale semble être à l’opposé de celleux qui ont le courage de boycotter. Les autres, cette masse aveugle et inconsciente, prête à tout pour consommer son football, même si le terrain est un cimetière recouvert par une pelouse.

Cette nouvelle ligne de distinction au sein de la population masque les réalités sociales qui la traversent. Elle ignore le fait que, si pour certaines personnes le football, qui n’existe qu’à travers la coupe du monde ou l’euro, ressemble à un évènement presque folklorique, prétexte à organiser un barbecue entre amix.es, pour d’autres, ce sport rythme leurs semaines infernales et reste l’un de leurs échappatoires favoris. Le football demeure, essentiellement pour les classes laborieuses, l’une des rares occasions de vibrer, d’ajouter des grains de soleil dans des semaines pluvieuses rongées par le travail, de s’extraire d’existences parfois mornes, alors que les portes d’autres formes de divertissement leur sont fermées à double tour. Cette ligne de distinction morale méprise cette réalité sociale, transformant ainsi des inégalités de naissance (on ne choisit pas de naître dans un milieu favorable à l’émergence de passion pour le foot) en inégalités morales (les personnes décidant de regarder cette coupe du monde semblent moins morales).

Observer des membres de la classe bourgeoise, dont l’impact destructeur sur la planète est bien plus prononcé que celui des classes laborieuses, se pavaner de boycotter cette coupe du monde, alors qu’iels ne regardent jamais de football, fait naître dans ma bouche un goût amer. La situation ne serait-elle pas semblable si les classes laborieuses appelaient à boycotter les pistes de ski cet hiver, conscientes de l’impact violent qu’elles ont sur le Vivant et le climat, alors que c’est un espace social dont elles sont exclues ? Sans nul doute que les boycotteurs.euses bourgeois.ses et leur belle morale à géométrie variable seraient moins nombreux.ses.

Rappelons également que le boycott individuel, qu’il faudrait distinguer d’un boycott « politique » (le fait qu’aucun.e représentant.e suisse n’aille au Qatar, par exemple), est le geste libéral par excellence. En faisant reposer sur l’individu, et sur la prise décision individuelle l’entièreté de la responsabilité politique, en évacuant le rôle des structures, des institutions et en sous-entendant que l’accumulation des décisions individuelles formera un consensus puissant (ou alors c’est que le peuple est con et s’en fout, ce qu’on entend souvent sur les questions écologiques), cet appel au boycott vole sur les ailes bien frêles du colibri.

Pour résumer, la question du boycott de la coupe du monde au Qatar n’est pas une question politique. Un peu comme ces appels à trier ses déchets, à pisser sous la douche, à prendre moins l’avion ou à saler l’eau des pâtes après qu’elle soit en ébullition. Ce n’est pas de la politique. C’est du développement personnel2.

Ne surtout pas politiser le foot

Ni la voie tracée par la FIFA et son obsession de ne pas politiser le football, ni celle tracée par les différentes fédérations nationales, qui se sont contentées d’un brassard one love aux couleurs de l’arc-en-ciel, ne sont satisfaisantes. D’abord parce que toutes ces organisations détruisent le football populaire main dans la main, et que ces brassards ne sont qu’un vernis moral. Mais surtout parce que la question n’est pas de savoir s’il faut politiser ou non le football : le foot est politique. Depuis ses premiers pas jusqu’à cette attribution qatarie ô combien politique, le ballon rond a toujours dévalé des terrains politiques.

L’histoire du football est conflictuelle. Depuis plusieurs siècles, deux footballs s’affrontent. Balloté entre outil de propagande et rouage du capitalisme, et instrument d’émancipation, de résistance et d’émergence d’autres possibles, le sport-roi a plusieurs visages. Si le football-business maintient le football populaire dans les marges de l’histoire à coups de tacles assassins, l’hégémonie qu’il a acquis ne doit pas effacer le fait qu’un autre football subsiste, un football où la compétition et le dépassement individuel passent au second plan, un football comme joint social d’une société atomisée, comme espace de rencontre, de discussion, de partage. Ce football, qui prend la forme du foot amateur, de certains clubs militants ou de ces fans qui rachètent leur club, n’est pas seulement possible. Il est surtout tellement désirable.

Il ne s’agit donc pas de folkloriser politiquement ce football-business à coups de brassards LGBTIQA+ et de genoux posés sur le sol, parce qu’intrinsèquement ce football porte en lui les valeurs politiques et les logiques du capitalisme. C’est le rendre plus légitime, et plus dangereux, que de le draper de couleurs vertes, violettes ou arc-en-ciel. Ce football est, et restera l’ennemi de nos luttes.

Il s’agit de faire émerger un autre football, de souffler dans la voile du foot populaire, de renouer avec ses expériences militantes, de marquer plus distinctement cette frontière entre ces deux visages du football, et de marteler qu’un autre football, dans un autre monde, est possible.

Semer les graines d’un autre football

Bien sûr, le titre est provocateur. Cet appel à boycotter le boycott n’est en aucun cas un appel à regarder cette coupe du monde, mais plutôt un appel à déplacer le débat sur d’autres terres. Et il n’a pas non plus vocation à nuancer, à nier ou à mépriser certaines décisions individuelles et certains boycotts compréhensibles et souhaitables.

Concernant cette coupe du monde au Qatar, réjouissons-nous de cette tentative de soft power ratée, émaillée par d’innombrables scandales qui resteront collés à l’image collective du Qatar, réjouissons-nous de l’inondation de thématiques sociales et écologiques dans les sphères médiatiques, réjouissons-nous de ces stades qui sonnent creux, de ces faux-pas permanents qui ne cessent d’embrasser le ridicule, réjouissons-nous de ces rares, mais puissantes prises de position des joueurs (à commencer par les joueurs iraniens refusant de chanter l’hymne), et surtout réjouissons-nous de tous ces évènements alternatifs qui ont fleuri, bien loin du désert qatari3.

Boycotter le boycott, mais surtout planter des graines dans le terreau de cet autre football. La FIFA, pour ne prendre qu’elle, demeure dans une telle position de domination et d’impunité, sans la moindre alternative à l’horizon, qu’elle peut tout se permettre. Et cette coupe du monde au Qatar en est la preuve. Mais cette situation actuelle, certes navrante, n’est pas figée. Partout, le mur se lézarde. Partout, les mauvaises herbes prolifèrent.

En organisant un tournoi de foot non-compétitif, qui a rassemblé dix-sept équipes et plus de 120 joueurs.xses dans la brumeuse basse-ville fribourgeoise, mais également en racontant une autre histoire du football, dans une salve d’articles qui sortiront au compte-goutte tout au long de cette coupe du monde de la honte : voilà notre modeste contribution à cette tâche immense qui nous attend : envahir le terrain du football-business, et récupérer ce ballon qui nous appartient.

Le football, et le sport de manière générale, peut beaucoup de chose, et son histoire l’a prouvé. Ne commettons pas l’erreur de jeter le ballon rond avec l’eau brune de son bain actuel.


Le vernissage de notre livre !

Nous sommes remontés à contre courant le fil de l’actualité, des articles théoriques et des récits personnels parus entre 2020 et 2021 pour en sortir une sélection et les poser pour la première fois sur du papier. Pour que ces premiers battements d’aile, ces premiers coups de plume de notre média engagé ne se fassent pas engloutir par la logique infernale d’internet : l’oubli à la dernière page de notre site. Pour cela, il a fallu replonger dans les procès, les manifs, les actions, la loi MPT. Revoyager aux débuts de la ZAD de la colline et revivre nous coups de gueule, nos échecs. Revoir les mots utilisés pour décrire la crise du covid et relire les catastrophes de l’été 2021. Se remémorer les étincelles, les percées, les soubresauts de cette année. Et c’est cela que nous voulons maintenant partager avec vous touxtes qui nous avez soutenu, qui nous avez lu ou qui avez écrit peut-être. Des mots pour bifurquer. Des mots posés dans un beau livre que nous allons enfin lancer dans la mare.

Nous vous donnons donc rendez-vous mercredi 14 décembre à la Coutellerie pour un début de soirée discussion autour d’un article d’actualité suivi d’un apéro de vernissage, bien sûr. Nous ne garantissons pas les flûtes de champagne et les petits fours au tarama mais une soirée de rencontre et de partage, engagée et joyeuse.

Programme de la soirée :

18h : apéro de vernissage et vente à prix libre de nos brochures
19h : bouffe pop
20h : lecture et discussion

  1. https://www.radiolac.ch/actualite/suisse/le-choix-du-qatar-etait-une-erreur-admet-sepp-blatter/
  2. Et parfois, c’est bien, le développement personnel. Souvent, c’est nul, quand même.
  3. https://carton-rouge-qatar-2022.org/#carto

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