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Deux motions populaires pour appliquer la loi sur le climat

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Deux motions populaires ont été déposées jeudi passé (le 4 juillet) demandant au Grand Conseil fribourgeois de renforcer ses engagements pour le climat. Les initiants viennent de la société civile, tant du milieu syndical (l’Union syndicale fribourgeois, Syna) que du milieu militant écolo fribourgeois (la Grève du Climat, les Parents pour le climat, les Grands-Parents pour le climat) et ont récolté pas loin de 500 signatures pour chaque motion, dépassant ainsi les 300 nécessaires. Que demandent-ils exactement ? Le premier texte vise la mise en place d’une évaluation sur la compatibilité (ou l’incompatibilité…) de la politique publique du canton avec les objectifs climatiques de la loi cantonale. Le second veut inscrire dans la législation cantonale la sortie échelonnée des énergies fossiles. Ces deux textes seront débattus au parlement fribourgeois en 2025. 


De 2019 à 2024

« L’Etat et les communes veillent à atteindre une réduction d’au moins 50 % des émissions directes du canton par rapport à 1990 d’ici 2030 et zéro émission nette d’ici 2050. » Voilà ce qu’on peut lire dans la Loi sur le climat du Canton de Fribourg, votée par le Grand Conseil le 30 juin 2023. On parle bien des émissions directes, c’est-à-dire celles qui sont produites sur le territoire – sont ainsi évacuées les émissions liées à notre consommation de produits étrangers, lesquelles représentent plus de 55% des émissions totales. Cette inscription de l’Accord de Paris dans le ciment de la loi cantonale était l’énième étape d’un long processus institutionnel, que l’on peut faire remonter à 2019. 

Les émissions du canton, graphique provenant du PCC.

En 2019, vous vous en souvenez peut-être : partout dans les villes du monde globalisé des millions de jeunes manifestaient dans la rue, faisant irruption dans l’espace public, demandant des comptes aux politiciens et politiciennes : pourquoi ne faites-vous rien ? pourquoi cet aveuglement idéologique face à la sixième extinction de masse et face au réchauffement climatique ? Les rues bouillonnaient, vertes-violettes, et ni la Suisse ni Fribourg n’échappaient à la vague de mobilisation et de désobéissance civile. Extinction Rébellion (XR) bloquait par exemple la porte principale de Fribourg Centre le jour du Black Friday. La fenêtre d’Overton s’ouvrait à gauche – des termes recommençaient à circuler, des questions… comment baisser les émissions dans ce système capitaliste comment envisager la décroissance ? c’est quoi en fait une démocratie ?

Face à ces mobilisations, la politique institutionnelle a été forcée de réagir. A Fribourg, la réponse a pris la forme d’un Plan Climat Cantonal (PCC), adopté le 14 juin 2021 par le Conseil d’Etat. Qu’est-ce que ce PCC ? Une série de mesures (115 en tout) articulées autour de deux objectifs, l’adaptation et l’atténuation (= la réduction des gaz à effet de serre), mesures financées par un budget de 22,8 millions sensé couvrir les dépenses jusqu’en 2026, date après laquelle le PCC sera remodelé. L’inscription des objectifs de réduction dans la loi cantonale (mentionnée plus haut) pouvait donner l’impression d’un achèvement. Après tout, chacun son métier et les vaches seront bien gardées : les militant.es avaient fait leur job en 2019 en tirant la sonnette d’alarme et la politique prenait ses responsabilités, en faisant du réchauffement climatique et de la « transition énergétique » ses priorités.

Pourquoi alors ces deux motions ramenant le sujet sur la table, lancées par des personnes ayant appartenu à ces mobilisations de 2019 ? Parce que la lutte contre l’écocide en cours a changé de forme. En 2019, il fallait faire irruption dans l’espace public et imposer un sujet, celui du réchauffement climatique, de l’effondrement du Vivant, dans un contexte d’ignorance, de paresse, de déni du système. Depuis, les enjeux de la lutte ont changé. Aujourd’hui, le sujet est omniprésent – et aucune entreprise ne songe plus à communiquer sans évoquer ses engagements écologiques. Hier ça se taisait, ça ignorait, ça niait. Aujourd’hui ça communique. Le doute est alors permis : cette législation et ces mesures sont-elles sérieuses ? Ou n’est-ce finalement que des coquilles vides ? 

Un Plan Cantonal Climatique insuffisant ?

La question est complexe. Mais lorsque l’on regarde les mesures mises en place par le canton, on ne peut pas s’empêcher de les trouver bien faibles par rapport à l’objectif inscrit dans la loi. Il s’agit pour l’essentiel d’argent investi dans des incitations, des études ou analyses. Ainsi, 250’000 francs sont prévus pour encourager aux énergies renouvelables pour la production sous serre (la mesure A.2.3), 300’000 francs sont prévus pour aider les communes dans leur planification énergétique (la mesure E.2.1) et 120’000 francs doivent encourager à la mise en place de bornes de recharge pour voitures électriques (M.4.2). D’un point de vue purement logique et mécanique, il semble absurde d’inférer de ces mesures des baisses drastiques de nos émissions.

Ce travail d’analyse du PCC, les grands-parents pour le climat l’ont mené et publié en février 2023 dans son Livre blanc. Ce rapport se concentre sur les trois secteurs les plus émetteurs : l’agriculture et l’alimentation, la mobilité et le bâtiment (en tout : 88% des gaz à effet de serre générés sur le canton), il décrit les mesures et trace les trajectoires observées. 

Le constat est sans appel. Certes les grands-parents saluent les objectifs fixés et le travail mené par le canton pour quantifier les émissions, en revanche « le canton de Fribourg n’a aucune possibilité d’arriver à faire sa part » et « dans ce sens, le PCC et les autres mesures sectorielles correspondent à une fuite en avant. Elles entretiennent l’illusion qu’elles sont suffisantes et que rien d’autre ne doit être entrepris. »

Ils font un deuxième constat : les efforts cantonaux manquent de cohérence, sont faits en ordre dispersé sans véritable coordination stratégique – à l’inverse de ce que tente de vendre le PCC. En somme, si certains départements du canton s’occupent de réfléchir à la baisse des émissions, dans d’autres départements, ce n’est guère la préoccupation majeure. Que l’on pense par exemple au projet d’éducation numérique de l’école obligatoire, où les conséquences écologiques n’ont guère été traitées sérieusement.

À la vue du sérieux travail entrepris par les grands-parents pour le climat, notre question semble avoir sa réponse : le PCC est insuffisant, et ne permet pas en l’état de respecter la loi sur le Climat votée tout récemment. D’ailleurs, à bien y lire entre les lignes, le canton lui-même sur son site Internet affirme une forme d’impuissance. A la question de savoir si le canton atteindra les diminutions de ses émissions grâce au PCC, la réponse apportée est ambigüe : « La diminution des émissions (d’ici 2030) et la neutralité carbone (d’ici 2050) visées par le Plan Climat cantonal seront le résultat d’une démarche de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de compensation de la totalité des émissions restantes, à un niveau global. Les efforts du canton sont donc proportionnels à son territoire. L’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris dépendra donc des actions entreprises à tous les échelons. » Je ne sais pas vous, mais quand je lis ces lignes, je comprends : le PCC ne suffira pas.

Le dépôt de ces deux motions populaires trouve alors tout son sens. Le premier texte veut que le canton s’ingénie à construire une cohérence entre les différents secteurs de la politique publique et les objectifs climatiques. Le second demande à ajouter aux seuls objectifs de réduction de gaz à effet de serre, des réductions plus précises et concrètes dans nos usages d’énergie fossile. Deux textes qui ont pour but fondamental de relancer et d’alimenter le débat public sur le sujet (des événements publics sont d’ailleurs prévus à l’automne pour discuter autour des deux motions) et de rappeler aux politiciens et politiciennes que les mesures actuelles sont non seulement insuffisantes – mais qu’elles ne s’accordent plus à la loi.

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