Comment rendre nos existences désirables ? Quelle place est donnée justement aux plaisirs, aux désirs, aux corps, à la sensualité, à la sexualité ? Ce dimanche 27 avril, on tente d’y répondre à coup de lancers de boules, en bougeant nos boules et en discutant avec la philosophe et militante écoféministe Myriam Bahaffou.
Y a pas à dire, malgré le fleurissement du printemps, ça sent mauvais ces temps, ça pue le retour du fascisme et ses délires mascu. Les mouvements sociaux désescaladent, on s’épuise dans les manif’ pro-Palestine, la queerphobie est sans limite, l’écologie rangée dans un placard, et on comptabilise les féminicides.
On va pas laisser passer, de toute façon y’a pas l’choix, faut résister, nos vies sont en jeu. Mais quitte à prendre des risques, à mettre nos corps en péril, autant que ce soit joyeux, sonore, inattendu, sexy et salement déviant.
Au journal du Colvert, on cherche un chemin entre usages numériques et matières palpables, multipliables, froissables, réflexions politiques et pratiques populaires, envolées littéraires et coups d’becs crachés sur le papier. On aime allier et hybrider tout ça : depuis les tournois de foot qu’on organise en automne, on défend une approche du militantisme qui soit drôle, familiale, un peu schlag mais esthétique quand même, et on convie tous les oiseaux des zones humides à nous rejoindre là-dedans.
On a vu l’importance de donner de la place aux plaisirs collectifs, en particulier ceux qui se font à tout âge, ceux qu’on croyait dans les mains des mecs et dont on s’empare avec jouissance. Après le foot, la pétanque.
Comme les écoféministes l’ont toujours revendiqué, on a franchement besoin de ce truc préfiguratif, de cette joie militante qui réchauffe les coeurs, de cette rencontre entre bonheur et politique dont parle Isabelle Stengers, « sans quoi la politique n’est que routine aveugle ou militance sacrificielle, ou les deux »1. Sans quoi notre rapport au monde reste froid, imperméable et instrumental. Et ressemble fâcheusement au capitalisme. Et au patriarcat. Et à l’esprit colonial.
Désirer le monde selon Myriam Bahaffou
De Myriam Bahaffou, on avait lu Paillettes sur le compost, vu passer sa préface du Féminisme ou la mort de Françoise d’Eaubonne et on était tombé·e·x·s sur sa définition de l’écoféminisme radical dans l’Abécédaire des féminismes présents d’Elsa Dorlin. Sa situation d’écoféministe queer, décoloniale, végane et issue des quartiers populaires détonne dans le paysage français des penseureuses de l’écologie politique et de la philosophie de l’environnement : elle a largement participé à secouer tout ça et ces lectures ont bien remis à leurs places questionné certain·e·x·s militant·e·x·s écolos et féministes d’entre nous.
Là, elle s’en vient tout droit du Canada avec son nouveau bouquin Éropolitique : écoféminismes, désirs et révolution publié aux éditions du passager clandestin. Une fois encore, elle choisit un recoin méconnu de l’écologie, pourtant exploré depuis plus de 50 ans par les écoféministes et les personnes queer/LBGTQIA+ : les liens entre pouvoir, environnement, désirs et vies terrestres.
En vrac et en avant-goût, quelques citations qui nous ont fait vibrer :
Les luttes décoloniales, indigènes et autochtones revendiquent en premier lieu un monde de relations jouissives, libres et construites autour d’une érotique terrestre. Ẽtre écolo, c’est retrouver sa capacité à éprouver du désir pour toutes les formes de vie, ainsi que pour le monde dans lequel nous existons. p. 10
Malgré l’omniprésence du sexe sous le patriarcat, le monde dans lequel nous vivons est érotophobe puisque sa seule relation au désir, réduite au sexe génital hétérosexuel, est imprégnée de violence. p. 29
Pisser, cracher, mouiller, déféquer, avaler, éjaculer, garder en bouche, ouvrir sa gorge, son anus, voilà des mouvements circulaires qui fluidifient, décloisonnent. […] Ẽtre écolo, signifie en ce sens cultiver la capacité de se faire traverser par le monde, de sorte à permettre l’interdépendance de ces écosystèmes. p. 91
Ce n’est pas en baisant que nous révélons notre nature animale : affirmer ceci reviendrait à sous-entendre que les animaux sont exclusivement assignés au sexe et à nier leur vie émotionnelle, morale, et psychique. En revanche, l’entreprise d’extermination de toute animalité (et la production constante de sous-humain·es qui lui est nécessaire) nous prive de la sensation de communauté avec d’autres êtres qui désirent aussi. p. 134
Pour la suite et les développements, on vous attend avec impatience sur le terrain de pétanque de bluefactory dès 13h. Y’aura trnstn radio en live2 tout l’après-midi avec des super djsets féministes, afrodescendants et bien expérimentaux pour twerker un coup.
Ensuite, pour rencontrer Myriam, ça se passe aux menteurs dès 18h, conférence-discussion modérée par la fantastique Ether et en compagnie des copaines de la librairie L’art d’aimer. Et ça sera suivi d’une bouffe pop et de quelques déhanchés, parce qu’on va pas se laisser aller.

Résumé par les éditions le passager clandestin :
Peut-on faire de l’érotisme une force politique écologique ? C’est le pari de ce livre dans lequel Myriam Bahaffou critique la réduction du plaisir à un objet de consommation et de conquête, auquel elle oppose une éropolitique collective, décoloniale, antispéciste et queer.
Loin de l’injonction à l’épanouissement individuel et des fantasmes de l’amour libre, l’éropolitique s’affirme comme une ouverture vertigineuse sur le monde. À travers la critique du consentement, l’exploration de pratiques dissidentes (l’écosexualité, le BDSM) ou plus populaires (le jeûne, la danse), l’autrice réhabilite les corps minorisés, défend une hyperféminité féministe et plaide pour un désir frondeur et avant tout déviant.
Dans cet essai tant jubilatoire que rigoureux, pédés d’hier et chiennes d’aujourd’hui, sociologues et travailleur·euses du sexe, philosophes et twerkeuses dialoguent pour nous montrer combien la puissance désirante des individus et des groupes, est le moteur de toute action révolutionnaire.
- Isabelle Stengers. La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement. La Découverte, 2005, p. 12.
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