Il y a une année, des paysan·nes exprimaient massivement leur colère, organisant des rassemblements un peu partout dans la campagne. Moins présent·es durant les mois de printemps et d’été où le travail est continu, ils et elles se sont encore mobilisé·es début décembre devant l’Office Fédéral de l’Agriculture (OFAG), l’administration qui les contrôle, qui les subventionne et qui cristallise le mécontentement. Après avoir écrit il y a plus d’une année sur les marges qu’accumule la grande distribution sur le dos des paysan·nes (ici), nous sommes allés à la rencontre de cette protestation protéiforme.
Début décembre, midi pile. Le fond de l’air est une soupe grise. On a annoncé cinq degrés mais il fait un peu plus sous le couvert du quai 3 de la gare de Fribourg où j’attends H. Dans trois semaines s’égraineront les rituels des fêtes : les repas de famille, les cadeaux, la « magie de Noël » que les actionnaires et l’industrie capitaliste se sont accaparés, qu’ils exploitent, essorent – la magie rapporte. Mais aujourd’hui c’est bien loin de ce monde en toc, d’abondance et de gaspillage, de joie et de vitrines remplies d’objets fabriqués à l’autre bout du monde que nous nous dirigeons. Nous allons à Liebefeld, dans la banlieue de Berne, devant l’Office fédéral de l’Agriculture (OFAG), pour entendre les tintements métalliques et âpres des cloches. Pas les cloches de Noël, mais celles qui symbolisent la colère des paysan·nes. Ils et elles ont appelé à une grande mobilisation. On est le 3 décembre.
Voilà H. d’ailleurs qui arrive. Tous les deux avons travaillé quelques mois dans le maraîchage. Pas beaucoup, mais suffisamment pour être sensibles aux conditions de ce métier qui est plus qu’un métier : une forme de vie, un monde en soi, aux antipodes des évolutions de notre société – un monde où travailler 10, 11, 12 heures de travail au quotidien pour un salaire qui serait considéré comme ridicule sur le marché du travail est la norme. Article pour le Colvert à la clef ou pas, il y a pour nous une forme d’évidence à nous rendre à Liebefeld. Pour soutenir. Pour montrer que même si on n’est pas de leur monde, on est en empathie avec leurs difficultés. Mais aussi pour percevoir la forme, l’intelligence que prend cette colère et sentir comment elle cherche à s’organiser, et si elle a le désir réel de modifier en profondeur un système pétri d’idéologie libérale qui se délite comme un vieux crépi.
Autrement dit, il y a pour nous un enjeu stratégique important. Évidemment, le « monde paysan » est un concept simplificateur qui cache une réalité hétérogène : l’endroit où vous produisez, la nature de votre production, la taille de votre exploitation, son degré de mécanisation – autant de critères qui façonnent des réalités différentes. LE monde paysan n’est pas unifié, il n’existe pas. Mais on peut dessiner certaines tendances.
Or voici l’une de ces tendances : les paysan·nes pour la majorité d’entre eux soutiennent politiquement le bloc bourgeois, et en particulier l’UDC, parti dit « agrarien », qui trouve ses origines dans la défense des intérêts paysans1. Les positionnements et les comportements de l’Union Suisse des Paysans (USP), le grand syndicat paysan, démontrent régulièrement la réalité ce cette alliance. Elle serait vieille de plus de 100 ans selon l’anthropologue Jérémie Forney et s’expliquerait du fait que les paysan·nes se reconnaissent comme des entrepreneurs. Il y a là une vieille histoire, et sans doute pourrait-on remonter encore un plus loin, au moment où le socialisme, comme mouvement révolutionnaire, se constitue et s’établit à partir du prolétariat concentré en ville (le prolétaire, selon Marx, celui qui n’a rien, et n’a rien à perdre…) – et ne prenant pas en compte la paysannerie.
Or cette alliance entre un bloc bourgeois, qui s’est depuis largement converti au néolibéralisme, et les paysan·nes est de moins en moins naturelle, dans le sens où, au fur et à mesure que l’économie se mondialise, leurs intérêts divergent toujours plus. Car c’est précisément les règles du marché libéral qui rendent structurellement le travail paysan de plus en plus précaire. Contrairement aux usines qui sont délocalisées (et avec elles les problèmes sociaux que l’on ne voit désormais plus qu’au téléjournal), le travail paysan est indéracinable, inexpulsable de la terre où il s’accomplit. Il se prend alors les transformations néolibérales de l’économie en pleine face : pour ne pas disparaître, il doit concurrencer des aliments produits en Europe de l’Est, en Espagne voir encore plus loin. Or jouer le jeu de la concurrence, dans une profession où la marge de manoeuvre pour réduire les coûts et maintenir des prix concurrentiels est infime, cela revient essentiellement à baisser la rémunération du travail. Dit autrement, la rémunération du travail paysan est la seule variable d’ajustement de ce jeu sordide.
Quand le train s’arrête à quai, c’est donc aussi cette éventualité de composer de futures alliances avec ce monde paysan hétérogène qui nous motive à monter, et à préparer notre matériel. Changer les piles du microphone et se rendre compte (merde !) que ni elle ni moi n’avons de quoi prendre une photo de la manif. Imaginer deux, trois questions pour entrer en discussion avec les paysan·nes. Lister quelques points à ne pas oublier : leur avis sur les accords de libre-échange du MERCOSUR, le rapport qu’ils entretiennent aux syndicats paysans (et notamment à la très libérale et dominante Union Suisses des Paysans (USP)) et à leurs nombreux représentants qui siègent sous la coupole fédérale). A ce propos, question ouverte : la victoire surprenante du NON à l’extension des autoroutes suisses de novembre dernier n’a-t-elle pas été causée par une résistance, en campagne, au développement néo-libéral et n’est-elle pas le signe d’une première alliance composée d’une manière non-explicite entre une certaine gauche citadine et une droite campagnarde ? On rappellera qu’en France, les Soulèvements de la terre sur la base d’analyses similaires cherchent à composer des alliances entre les milieux rural paysan, militant écolo et anarchiste autonome en mettant l’accent sur des pratiques communes plutôt que des logiques identitaires, qui souvent ont tendance à diviser. C’est aussi le cas en Suisse avec les Grondements des Terres.
Retour sur 2024 : Un vent de colère
Pour situer dans le temps court cette mobilisation de décembre, il suffit de remonter au début de 2024. Dans l’écosystème paysan suisse, quelque chose s’était alors cristallisé. Un groupe facebook « Révolte Agricole Suisse » était créé sous l’impulsion de deux jeunes paysan.nes, Arnaud Rochat et Marlène Perroud, rassemblant vite des milliers de paysan.nes, jeunes pour la plupart, court-circuitant une Union Suisse des Paysans (USP) empruntée. Des panneaux signalétiques étaient retournés. Des rassemblements étaient organisés régionalement, où l’on disposait des dizaines de tracteurs pour former les lettres SOS. A Estavayer-Le-Lac, c’est le mot « dialogue » qui avait été choisi – comme pour mettre le doigt sur le fossé grandissant entre la ville et la campagne.
Comme souvent, l’impulsion était venue d’ailleurs. En l’occurrence, des paysan.nes se soulevaient en France et en Allemagne notamment (mais aussi en Europe de l’Est et dans le Sud), pour protester contre des conditions de travail soumises à une bureaucratie et à des normes environnementales grandissantes et des rémunérations insupportables. Les modes d’action étaient variés, allant du coup de comm’ (déversages de fumier devant des mairies ou des centres commerciaux) à des actions beaucoup plus impressionnantes susceptibles d’installer un vrai rapport de force avec les gouvernements. Le nerf de nos économies occidentales ne résidant plus dans les lieux de production, mais dans le trafic des flux, les paysans menacent de bloquer de grands actes routiers. Le 15 janvier 2024, des milliers de tracteurs rentrent dans Berlin. Plus tard, les paysan.nes français menacent de rouler sur Paris. Fin mars, la commission européenne propose la suppression ou l’allègement de la plupart des mesures écologiques de la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC) 2023-27. Rien de structurel pourtant – preuve en est le nouvel accord de libre-échange avec le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay (le fameux MERCOSUR) que l’UE s’apprête à signer.
Évidemment, en Suisse, on en n’est pas là. Sous la pression, une délégation paysanne (jeune et majoritairement suisse-romande) est invitée en mars au palais fédéral pour discuter avec l’Office fédérale de l’Agriculture (OFAG) et des membres du Parlement. Ils et elles défendent 8 points dont la stabilité de la politique agricole, la diminution des charges administratives et la simplification des contrôles, l’abandon de devoir attribuer 3,5% des terres cultivables pour la promotion de la biodiversité (la mesure sera effectivement abandonnée à l’été), l’augmentation des prix des produits agricoles de 5 à 10%. L’impression alors partagée par les membres de la délégation est qu’on les reçoit, qu’on dialogue avec eux – mais qu’aucune proposition concrète de changement profond n’est proposée. Qu’on les entend, mais qu’on ne les écoute pas, selon une formule qu’Arnaud Rochat et ses collègues affectionnent.
Cette mobilisation du 3 décembre à laquelle nous nous rendons est cette fois-ci organisée par des Suisses-allemands, et notamment par le groupe Dialog Bauern Schweiz. De leur côté, depuis ce printemps ils mettent en avant quatre revendications : réduction de la charge administrative, stabilité de la politique agricole, meilleure rémunération du travail des agriculteurs par leur production et meilleure reconnaissance du travail paysan.
Sonner les cloches de l’OFAG
Quand le train s’arrête à Liebefeld, peu avant 13h, nos craintes de tourner comme des mouches indésirables au milieu de quelques dizaines de paysan·nes alémaniques sont levées. Rien qu’à la descente du train, nous sommes déjà une cinquantaine, et c’est au son des cloches que nous nous dirigeons en file indienne sur le trottoir jusqu’au bâtiment imposant de l’OFAG. La foule impressionne (un bon millier de personnes peut-être), des drapeaux cantonaux flottent : presque toutes les régions sont représentées. Dans les bords de la place, des journalistes (comme nous), largement reconnaissables, tentent de percer cette foule, au moins par le regard, comme pour tenter de lui tirer les vers du nez.
L’ambiance est plutôt bon enfant – on n’a pas l’impression qu’une profession se trouve sur le pied de guerre. Sur les visages, il est rare de discerner véritablement de la colère – ils oscillent plutôt entre la joie de se retrouver si nombreux et du dépit, de la résignation. D’ailleurs, quand le directeur de l’OFAG s’avancera sur la scène à la toute fin des prises de parole et saisira le micro pour répondre directement aux nombreuses critiques formulées contre son office, il ne se fera ni franchement siffler ni malmener – l’écoute sera même plutôt attentive. Attitude qui tranche avec les quelques paysan·nes rencontré·es : l’OFAG, on n’en espère plus rien. Des fonctionnaires qui ne comprennent pas le terrain.
Il y a un moment pourtant ou l’ambiance se métamorphose. Un signal a été donné : chaque famille se met à brandir sa cloche. Alors l’émotion devient palpable – sur les visages qui se ferment, dans les sourires qui deviennent un peu plus menaçants, ou plus tristes. De l’extérieur, difficile à identifier précisément le sens de ce tumulte des cloches : il paraît tout en même temps acte de présence, promesse de résistance, symbole de regroupement mais aussi moment de recueillement. « Le paysan ne se suicide pas. On l’assassine » peut-on lire sur une pancarte…
Le tumulte dure, il dure long. Plus de 10 minutes où l’on ne s’entend plus. On espère peut-être percer les baies vitrées de l’OFAG derrière lesquelles deux-trois fonctionnaires passent et s’arrêtent une minute, café en main, pour regarder du quatrième ou du cinquième étage le rassemblement et ses cloches. Par le tumulte, on espère enfin se faire se faire écouter.




Des préoccupations communes : les prix trop bas, la charge administrative, les contrôles
En échangeant avec quelques paysan·nes, la question de la rémunération est sur toutes les lèvres. Le premier d’entre eux, jurassien, jovial et généreux dans l’échange nous fait comprendre à demi-mot qu’il peine à faire tourner sa ferme. « On parle souvent ces derniers temps dans les médias du salaire à l’heure que touche un agriculteur (ndlr : selon un rapport qui vient d’être publié, la moyenne serait de 17 frs de l’heure, avec de grandes disparités néanmoins), mais c’est faussé parce que dans toutes les fermes, il y a toujours des grands-parents, des enfants qui sont bénévoles. A l’heure actuelle, j’ai mes deux parents qui travaillent… Peut-être moins ma maman. Mais mon papa fait je pense 70 à 80 heures de boulot gratos par semaine. Et c’est pas rémunéré. Et vu qu’on est des entrepreneurs, on n’a pas de 2ème pilier, c’est-à-dire qu’ils vivent qu’avec leur 1er pilier. »
La situation pour un couple suisse-allemand travaillant dans une exploitation laitière est également sur le point d’imploser. « On travaille 80 à 90 heures par semaine, sept jours sur sept ». Des jours fériés, des week-ends, ils en voudraient bien, mais ce n’est guère possible pour eux : « Tu as de la chance quand tu trouves des gens pour t’aider ou te remplacer. Nous sommes partis une fois trois jours, et ça a été très compliqué pour trouver quelqu’un qui s’occupe des vaches et qui sache comment les machines fonctionnent – juste pour trois jours. C’est que chaque paysan a déjà sa ferme et n’a pas le temps pour aider ailleurs. » S’il est difficile de trouver des employés, c’est que la paie est mauvaise, les conditions rudes. « Pour les employés agricoles comme moi, c’est entre 4 000 et 4500 francs par mois pour 51,5 heures hebdomadaires et des week-ends réduits à un jour et demi de congé » expliquait Arnaud Rochat dans un entretien.
Du côté de ce couple bernois, ils n’attendent plus grand-chose ni de l’OFAG ni de la politique : « Ils n’ont plus aucune idée de la réalité, des bases du métier. Le bureau, c’est pas optimal pour comprendre les paysans. Surtout que là-bas chacun touche 7’000, 8’000 francs – et le patron peut-être 20’000 francs. Et avec ça, quand on les appelle pour des questions, ils sont déjà en vacances ou ils ont terminé leur journée. » L’impression est forte chez eux d’un déphasage grandissant avec une société où l’on commence désormais à discuter de semaines à 4 jours de travail.
L’autre sujet qui revient constamment est celui des paiements directs et de la pesanteur de la charge administrative. Tout ce que fait le paysan doit être noté, « au millilitre près » explique un producteur laitier parlant des antibiotiques qu’il utilise, avant d’ajouter que de toute façon « tu n’as pas le temps pour remplir tous les tabelles ». Les contrôles sont nombreux, parfois non-annoncés et en quelques clics un contrôleur peut enlever les subventions reçues par un paysan. Un éleveur porcin nous explique avoir ainsi été sanctionné de 450 ou 500 francs du fait que la température pour les porcelets sevrés qu’il venait de déplacer n’était pas de 15° mais de 14,5°. « Abusif » dit-il très calmement, en se demandant sérieusement si ces contrôles n’ont pas comme simple but de permettre à l’OFAG de faire des économies. (Pour une immersion dans la charge administrative d’une exploitation vaudoise, voir le beau papier du Temps ici).
Ce flicage fait mal et ses conséquences sont multiples. Il y a bien sûr le travail qu’il demande (on parle d’environ une heure sur cinq consacrée à de l’administratif). Mais il y a aussi les sentiments qu’il génère chez les paysan.es. D’abord l’anxiété de ne pas être dans les règles et de se voir retirer des subventions nécessaires au budget de l’exploitation. Ensuite l’impuissance et l’impression d’être dépossédé de son travail face à des normes et à des mesures extrêmement complexes. « A l’OFAG, ils disent toujours qu’ils ont simplifié les choses, mais au niveau administratif, c’est toujours plus complexe. J’ai fait mécano en machines agricoles, l’école d’agriculture, puis un brevet. Pour remplir un recensement, ça devient… C’est usant ». Enfin le sentiment de n’être ni vraiment libre, ni responsable, mais d’être transformé en robot mécanique, appliquant des directives politiques ou administratives parfois absurdes en échange des subventions étatiques. « Il n’y a plus aucune confiance en l’agriculteur, on croit toujours que l’agriculteur il est là pour pomper des paiements directs… On ne nous croit pas. On nous donne de l’argent soit-disant mais c’est juste parce qu’on est un peu comme des grands malades perfusés par l’Etat pour qu’on tienne ». L’enchaînement de plusieurs votations a renforcé ce sentiment, donnant lieu dans l’espace public à des discussions parfois stigmatisantes sur les bons et les moins bons paysan·nes, sur l’usage d’une telle pratique ou d’une autre, avec en filigrane l’idée qu’ils détruisent le Vivant. Il y a une violence là qui a sans doute été sous-estimée par les initiant·es.
Pendant la mobilisation, on tombe toutefois sur un paysan un peu moins désespéré et plus confiant pour la suite. Ayant participé aux négociations au Palais fédéral de ce printemps, il sait que le processus de transformation va prendre du temps, mais selon lui les choses changent : « on a des lignes directes pour discuter avec les politicien.nes ». Lui aussi pourtant a sa liste de griefs. Il dénonce la position de l’OFAG qui veut attendre 2030 et le PA2030+ pour initier des changements plus structurels. Après avoir évoqué les revendications officielles, il dénonce la puissance des grands distributeurs, Migros, Coop et « le poulpe » Fenaco, le troisième géant, qui possède les détaillants Volg et Landi ou encore le producteur de boisson Ramseier et qui s’immisce dans chaque secteur, du commerce des semences au transport de bétail. S’il ne conteste pas véritablement les lois libérales du marché qui permettent à ces trois monstres de s’étendre toujours plus, il trouve injuste que ce soit aux paysan·nes de s’ajuster aux prix du marché. « Quand le producteur touche moins, le prix en magasin reste le même. C’est pas normal. »
« On va devoir passer à autre chose »
Reconnaissons à Christian Hofer, le directeur de l’OFAG, de n’avoir pas seulement recouru à la langue de bois quand il a pris la parole en fin de mobilisation. Point par point, il a répondu aux revendications des paysan·nes, quitte à décevoir. Seule véritable avancée : la question de la stabilité de la politique agricole. « Nous allons réduire la cadence des règlements, des lois, des ordonnances d’un rythme de 4 ans à un rythme de 8 ans » a-t-il ainsi promis. A propos des contrôles, ils devraient être revus à la baisse, mais pas avant 2026. Concernant les simplifications administratives, il faudra attendre 2030 pour avoir des mesures importantes, même si des allègements marginaux ici et là qui pourraient se faire avant. En revanche, sur la question des prix, aucune surprise : « Votre demande pour une meilleure rémunération s’adresse en premier lieu à vos partenaires de marché. Les prix sont en principe négocié entre les partenaires de marché. »
Pour nous, il est là le véritable terrain de la lutte, comme souvent, paysan ou pas paysan : la question du prix, des rapports de production, de distribution. Si un allègement de la charge administrative et des contrôles, si une plus grande stabilité de la politiques agricole sont sans doute des réformes nécessaires permettant aux paysan·nes de travailler dans de meilleures conditions, le fond du problème est ailleurs. Il réside davantage dans la volonté de libéraliser un marché qui par essence ne peut pas être concurrentiel avec celui des pays voisins, dans la mise en place d’un système de redistribution pervers (les paiements directs) où l’argent public va dans les poches de la grande distribution, alimentant ainsi la croissance à grande vitesse des empires agro-alimentaires et enfin dans une prétendue négociation des prix entre « partenaires » où quelques géants acheteurs (rappelons par exemple que Migros et Coop représentent 80% du commerce des fruits et légumes à destination des particuliers) édictent leurs prix et leurs conditions d’achat à une multitude de petits producteurs paysans.
En fin de meeting, Arnaud Rochat a pris la parole. Il a été bref, vigoureux : « On veut pas venir ici tout le temps. On aimerait des résultats, on aimerait des discussions, on aimerait du concret. On doit avancer vers ça. Sinon on va devoir passer à autre chose. » A l’évidence, pour l’instant, si l’émergence de jeunes mouvements comme Révolte Agricole Suisse met un peu de pression sur les institutions politiques – sur l’USP, sur l’OFAG et sur les partis politiques en premier lieu – les résultats sont encore maigres. Les questions posées sont complexes : comment monter d’un ou de deux crans dans le rapport de force tout en sauvegardant le soutien tacite de la population ? Comment s’assurer que le mouvement survive encore une année et que les jeunes forces ne se découragent pas face à la rigidité du système ?
On reviendra sur ces questions dans le prochain article consacré à ce mouvement. Mais on peut d’ores et déjà se demander s’il n’y a pas des soutiens, des actions que l’on pourrait organiser en ville en lien avec ces paysan·nes mobilisé·es. D’ailleurs un groupe cherche à se lancer sur ces questions à Fribourg. Si vous habitez par Fribourg et que vous seriez intéressé·e à rejoindre un tel groupe, écrivez au Colvert à redaction@lecolvertdupeuple.ch.
- On rappellera que jusqu’en 1971, le parti s’appelait le Parti des paysans, artisans et indépendants (PAI). « Enraciné en premier lieu dans les milieux paysans, artisanaux et petits-bourgeois, le parti défendait une position conservatrice de droite, rejetant d’une part la grande industrie et les entreprises multinationales et luttant d’autre part contre les milieux socialistes avec leur internationalisme et leur antimilitarisme. » (voir le Dictionnaire Historique de la Suisse) Ce n’est qu’à la fin des années 70’ que l’aile zurichoise, blochérienne et populiste va prendre le contrôle du parti pour entamer dès les années 90’ deux virages importants. D’abord un positionnement contre l’UE en opposition au camps bourgeois. Ensuite en surfant sur un discours xénophobe et en privilégiant de nouvelles thématiques comme l’immigration ou la sécurité. Citons encore le Dictionnaire Historique de la Suisse : « Comme d’autres partis similaires en Europe occidentale, l’UDC défendit désormais une politique combinant des revendications nationalistes et identitaires dans les questions européennes et migratoires et des positions néolibérales en politique économique et fiscale, assorties d’une rhétorique populiste anti-establishment. »
Merci pour ce très bon article !