Mi-juin, le Conseil d’Etat a mis en consultation le PSEM 2024, son projet de plan sectoriel d’extraction des matériaux. Si l’annonce s’est faite discrète, elle n’a pas manqué d’interpeler les habitant.es de la Sarine fortement impacté.es par le projet. Depuis, dans les communes concernées, des citoyen.nes se mobilisent. Tour d’horizon d’une opposition qui s’organise.
Les premières vagues de désapprobation sont apparues lors de la séance d’information organisée par la DIME le 18 juin à Ecuvillens. Sifflements, huées, indignations ont accueilli Jean-François Steiert dès son arrivée. Les habitant.es de la Sarine sont venu.es en nombre manifester leur mécontentement, si bien que la salle comprenant une quarantaine de places n’a pas pu accueillir les près de 200 personnes ayant fait le déplacement. Une seconde séance d’information a dû être organisée le 4 juillet où à nouveau plus d’une centaine d’habitant.es de la région sont venu.es signifier leur indignation contre un projet jugé irrespectueux1.
En cause notamment, la suppression de la zone de 200m entre les habitations et les futurs sites d’exploitation, zone qui prévalait jusqu’à aujourd’hui. « Cela signifie qu’en théorie, une gravière peut s’arrêter juste devant notre terrasse » explique une propriétaire, « ma maison qui représente les économies de toute une vie ne vaut plus rien ». Des erreurs dans les délimitations des secteurs ont été relevées: « Monsieur le Conseiller, vous n’avez pas vu ma maison, elle est au milieu de votre gravière », interpelle un senior lors de la séance. Si l’évènement peut paraître anodin, il a permis de sonner le tocsin contre un projet dont l’annonce aurait pu passer inaperçue durant la pause estivale. La communication insuffisante de la DIME sur le sujet est aussi pointée du doigt : « Les communes n’ont pas été averties à l’avance, fulminait Julien Gremaud, syndic de la commune de Gibloux, la population est en droit d’être informée2. »
Le PSEM : enjeux, objectifs et critiques
Si le PSEM fait tant jaser c’est qu’il est l’instrument d’aménagement du territoire qui planifie les sites de gravières sur le canton et qu’une gravière n’est jamais une mince affaire. Son impact sur le paysage est massif, les nuisances (bruits, camions, poussières) peuvent être importantes pour le voisinage et ses conséquences environnementales, notamment sur les eaux inquiètent. Pour cerain.es citoyen.nes, la pilule est difficile à avaler : « Du jour au lendemain, le champ qui borde votre quartier, la forêt où vous construisiez des cabanes, la colline de laquelle vous aimiez aller voir la vue peuvent être rasés en passant en secteur prioritaire ; la route de quartier s’encombrera de camions et où les oiseaux chantaient on entendra le bruit des machines de chantier3. »
D’un autre côté, le Canton va continuer de développer ses infrastructures et a besoin de gravier pour faire face à l’augmentation de la population4. De plus, dans certains cas une gravière peut être bien vue par les autorités communales car elle apporte un revenu financier bienvenu dans les communes rurales. Les exploitants se livrent d’ailleurs une guerre sans merci pour poser les premiers leurs pions sur les secteurs intéressants et n’hésitent pas à proposer des sommes importantes pour racheter les terrains et ainsi faire accepter leur projet. L’opposition ne fait donc pas l’unanimité au sein de la population : pour certains propriétaires, il peut s’agir du gros lot, pour d’autres de la mauvaise pioche.
Le PSEM est précisément l’outil devant permettre de pondérer ces intérêts divergents en équilibrant les besoins économiques avec les contraintes de protection de l’environnement et de la population. Le gravier étant une ressource non renouvelable, le PSEM a comme but premier d’assurer que son exploitation se fasse sur le long terme et ne soit pas uniquement l’objet de spéculations économiques. Il définit pour cela le besoin du canton en gravier pour les 25 prochaines années. Puis, selon une évaluation multicritères, il définit les secteurs devant être exclus et ceux se prêtant le mieux à l’extraction.
C’est ici tout le nerf de la guerre : la manière avec laquelle ces critères sont notés peut faire passer un site laissé en réserve dans la cattégorie des sites prioritaires. Or la version du PSEM mise en consultation cet été est critiquée pour son manque de transparence dans le choix et le poids des critères. « La présence de batraciens vaut six fois plus que la proximité avec les habitations5 » s’indignent les opposant.es. Le projet est aussi attaqué pour faire le jeu des exploitants au détriment de la santé des riverains ; par rapport à sa version de 2011, les opposants estiment qu’il y a une dégradation des mesures protégeant la population. Son manque d’ambition concrète en matière de durabilité est également pointée du doigt.
Une grogne qui s’organise
L’opposition dans le canton s’est organisée en petits groupes spontanés de citoyen.nes. Elle n’est pas nouvelle dans la commune de Gibloux où Grand-Champs, une des plus grande gravière du canton, restera ouverte jusqu’en 2040. Lors de son ouverture en 2018, les opposant.es s’étaient regroupés en une association, l’ASSQUAVIE, ayant pour but de défendre la qualité de vie des habitant.es du Gibloux. Depuis le début de l’été, elle est une des premières à s’être mobilisée contre le projet de PSEM qui prévoit d’ajouter 8 nouveaux sites de gravières dont trois en secteur prioritaire. Elle s’est proposée pour coordonner les différents groupes des opposants de la région. Une pétition en ligne a déjà recueilli plus de 1400 signatures. Depuis mercredi, sur son site internet, on peut également trouver une prise de position pour que chacun.e puisse déposer son opposition au SeCA6.
Sur la commune d’Ecuvillens où trois sites sont mis en réserve, le « Comité pour un PSEM véritablement durable », comptant plus de 150 membres, a quant à lui passé au crible fin le nouveau plan sectoriel. Il présente sur quinze pages un argumentaire fouillé qui dresse l’inventaire de toutes les incohérences du projet. Il s’attaque au manque de transparence dans les processus de décision, dénonce les possibles conflits d’intérêts au sein du COPIL, déplore la perte d’autonomie des communes et finalement critique le Canton pour son manque d’ambition en matière de durabilité et ses contradictions concernant la défense de l’environnement. En conséquence, il va jusqu’à demander une refonte totale du projet actuel : « La DIME doit ainsi prendre au sérieux les critiques susmentionnées, y répondre de manière détaillée et documentée, et en tirer les conséquences qui s’imposent en développant un nouveau projet de PSEM véritablement durable » demande le comité à la fin de son argumentation7.
Cette longue prise de position se termine en posant 11 exigences pour le nouveau PSEM. Le collectif invite ainsi chaque citoyen.ne du canton à le signer en y ajoutant ses propres arguments puis de l’envoyer au SeCA avant le 13 septembre. Il espère que l’effet de masse ainsi obtenu et l’ensemble de la mobilisation citoyenne contre le projet force les autorités à faire marche arrière. Sur un autre registre le collectif propose des T-shirt montrant un oiseau mort dans le style irremplaçablement fribourgeois de Frederic Aeby. « Padçaparlà » arbore-t-il en titre, avec une pointe d’humour noir : « Gravière, la Sarine dit non ».
En s’appuyant sur ce travail, d’autres collectifs sont en train de se former, notamment en Gruyère et en Singine. Deux régions, fortement impactées puisqu’elles doivent également répondre en partie au besoin de la Veveyse et du Lac disposant de moins de réserves.
Des gravières peu démocratiques
C’est dans une perspective démocratique que tout.e citoyen.ne du canton est appelé.e à se mobiliser contre le PSEM. Si généralement on restreint la démocratie aux seuls moments ritualisés de votations et d’élections, c’est pourtant avec ce genre de mise en consultation que la population a vraiment la possibilité de s’exprimer sur des instruments politiques l’affectant directement. En-dehors du système polarisé gauche-droite, en-dehors du système de « représentation » où bien souvent les « représentant.es » finissent par ne plus « représenter » grand-monde. Dans le cas du PSEM, le point de vue des habitant.es est d’autant plus important qu’il s’agit de décisions locales qui peuvent remodeler le visage d’une commune pour les années à venir.
Enfin cette lutte autour de l’utilisation du territoire s’inscrit dans un contexte plus général de remise en question du modèle de société que nous voulons pour le XXIème siècle. Le gravier est principalement utilisé pour produire du béton ; or le ciment nécessaire à sa fabrication est la part de l’industrie suisse qui émet le plus de CO2. Si le canton et la confédération veulent parvenir au zéro émission nette d’ici à 2050, il va falloir repenser notre manière de construire et d’envisager les infrastructures.
Ces derniers temps, tant pour leur impact direct sur la biodiversité locale que pour leurs émissions globales, les gravières sont dans le collimateur des militant.es écologistes : la Zad du Mormont se prenait au cimentier Hollcim; l’occupation d’un terrain à Vufflens-la-ville a contribué au renoncement d’un projet d’extraction; et en juin dernier, les militant.es des Grondements des terres installé.es dans la forêt de Ballens ont permis de relancer l’opposition citoyenne contre le plus gros projet de gravière vaudois. Ainsi, l’opposition au PSEM n’est qu’une première étape dans le bras de fer qui se joue autour des gravières et du modèle de développement qu’elles représentent.
- Voir le reportage de la RTS ici (18.08.2024)
- « Soirée d’information mouvementée à Posieux », La Liberté, édition du 19.06.2024, page 11
- Propos recueillis auprès d’une habitante dont le secteur « Le Sac » à Hauterive s’arrête devant sa porte
- Voir la page Internet dédiée au PSEM sur le site du canton, ici.
- Propos recueillis auprès d’un membre du « Collectif pour un PSEM vériablement durable ».
- Voir le site Interet de l’ASSQUAVIE.
- La prise de position est également disponible sur le site internet de ASSQUAVIE.