Révision du PDCant, mise en consultation de PSEM 2024 par la DIME, critiques adressées au COPIL… vous n’avez rien compris ? C’est normal, miné d’acronymes comme l’est ce terrain, à faire péter les nerfs de qui n’est pas habitué.e à ces tournures absconses… Pourtant le sujet est chaud chaud pour notre région fribourgeoise et vaut la peine qu’on prête attention. On a donc décidé de se mettre quelques temps à l’affût du PSEM et voici les observations que l’on a pu faire. A utiliser comme kit de survie pour qui se serait perdu dans les méandres du phrasé bureaucratique.
Le PSEM : dans quelle niche écologique le trouve-t-on ?
Le PSEM, ce n’est pas l’onomatopée du bruit du moustique, bien que pour certains il soit tout aussi irritant. Non, c’est l’acronyme signifiant Plan Sectoriel d’Exploitation des Matériaux.
Un plan sectoriel est un joli nom d’argot d’aménagistes du territoire (là où l’on trouve du PSEM, on trouve toujours de l’aménagiste) pour parler d’un instrument de planification permettant à la Confédération ou au Canton de coordonner ses activités à forte incidence territoriale, comme les gravières. Elle est une étude de base au sens de la loi sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATeC), la bible des sus-mentionné.es aménagistes. Une étude de base n’est pas à proprement parlé contraignante, mais elle rassemble des données… lesquelles vont devenir contraignantes une fois utilisées dans le PDCant.
Le PDCant justement, ou Plan Directeur Cantonal, est l’outil d’aménagement du territoire qui assure une cohérence entre tous les projets ayant un impact sur le territoire (routes, grands projets industriels, gravières évidemment et autres). Dans le chapitre dédié aux matériaux d’exploitation, il intègre les conclusions du PSEM sous une forme juridiquement contraignante pour les administrations publiques. La révision de ce chapitre se fait donc en parallèle de la révision du PSEM et doit être validée par la confédération.
Vous suivez ? ça fait déjà trois espèces rares dans notre herbier : PSEM, LATeC, PDCant. Précisons encore que dans le cas de notre PSEM, les « exploitations de matériaux » dont il s’agit se subdivisent en trois genres : les carrières, les glaisières et les gravières. Les deux premières étant minoritaires dans le canton, ce sont surtout les gravières qui posent problème.
En conclusion, le PSEM est une étude planifiant les emplacements des gravières sur le territoire cantonal qui servira à établir le plan directeur cantonal.
Avant de passer à la suite, voyons encore quelques variétés indigènes à connaitre pour ne pas s’égarer dans ce milieu hostile :
Le COPIL : Le comité de pilotage est un groupe de dirigeants qui veillent au bon déroulement du projet. Il lui confère une ligne directrice et tranche sur les questions épineuses. Dans notre cas, le comité est présidé par le Conseiller d’Etat Jean-François Steiert et inclut des chefs de services, des représentants des industries concernées, des associations écologiques ainsi que des spécialistes du domaine. C’est lui qui a pris la majorité des décisions faisant du PSEM ce qu’il est.
Le DIME : La Direction du développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement regroupe les services chargés de ces domaines. Dans notre cas, c’est surtout le Service des constructions et de l’aménagement (SeCA) et le Service de l’environnement (SEn) qui nous intéressent. Chacune des sept directions du canton est présidée par un.e conseiller.ère d’État : à la tête de la DIME, on retrouve Jean-François.
Le PSEM, comment fonctionne-t-il ?
Merci Fred pour cette mise en contexte, nous situons mieux comment le PSEM s’inscrit dans sa niche écologico-administrative. Maintenant, rejoignons Jamy au camion pour examiner le spécimen de cette année en disséquant ses parties.
Le PSEM 2024 remplit trois objectifs principaux :
- préserver les ressources non-renouvelables sur le long terme,
- établir une estimation des besoins en matériaux pour les 25 prochaines années dans le canton, et donc,
- délimiter les secteurs où les projets d’exploitation peuvent prendre place.
Pour ce faire, le PSEM procède en plusieurs étapes.
1° Il commence par identifier les grands gisements de gravier existant, en s’appuyant sur des études géophysiques établies par son prédécesseur des années 1980, le PSAME. Ici, premier constat : la répartition du gravier est inégale dans le canton ; elle se concentre surtout dans les districts de la Sarine, de la Gruyère et de la Singine qui devront alors en extraire pour les besoins de la Veveyse, de la Glâne et du Lac qui en ont moins à disposition.
2° Ensuite, il retire les gisements ne pouvant pas être exploités selon les bases légales actuelles grâce à des critères d’exclusion définis par le COPIL. Comme par exemple les zones bâties, les espaces protégés ou les cours d’eau…
3° Les secteurs restant sont ensuite classés en fonction de leur intérêt économique et des nuisances qu’ils vont provoquer pour l’environnement et la population. Le COPIL définit pour cela des critères d’évaluation avec des notes comprises entre -2 et +2 en fonction de leur impact négatif ou positif. Ces critères sont ensuite pondérés en fonction de leur importance par un facteur 1, 3, 5 ou 10. Ainsi, par exemple, la « proximité d’eaux souterraines » va de -2, pour les secteurs proches de nappes phréatiques, à +2, pour les secteurs s’en éloignant, et se voit attribuer un facteur 10 ; à contrario, la « proximité avec une entité urbanisée » est évaluée entre +1 et -1 en fonction de l’éloignement aux zones construites et ne bénéficie que d’une pondération d’un facteur 1. Le fait qu’un gisement soit situé en périphérie urbaine est ainsi jugé positivement par le COPIL, mais le fait qu’il soit éloigné d’eaux souterraines pèse 10 fois plus dans la balance. Á l’issue de cette étape, tous les secteurs sont listés en fonction de la note globale qu’ils ont obtenue.
4° En se basant sur les projections démographiques et la consommation des années précédentes, le PSEM définit ensuite l’estimation du besoin en sable et gravier pour les 25 prochaines années. Dans la révision actuelle, le COPIL a décidé de prendre le chiffre de 3 m3 par habitant.e et par année, et il s’est appuyé sur le scénario de croissance démographique forte de l’Office fédéral de la statistique portant le besoin théorique à 23 mio. de m3.
5° La dernière étape consiste à répartir ce besoin par district et à sélectionner les sites les mieux classés jusqu’à couverture du besoin de chaque région. Les secteurs ainsi sélectionnés sont appelés : secteurs prioritaires à exploiter, et les viennent-ensuite : secteurs de ressources à préserver. Les premiers sont théoriquement destinés à pouvoir être exploités dans les 25 années à venir et les seconds directement à leur suite. Le volume total finalement retenu dans les secteurs prioritaires s’élève à 37 mio. de m3. Chaque secteur fait alors l’objet d’une fiche de projet qui précise brièvement certaines de leurs caractéristiques.
Le PSEM, comment un adopter un ?
Bien, merci Jamy pour ces éclaircissements ; maintenant que nous comprenons mieux ce qu’est le PSEM et comment il fonctionne, nous pouvons nous intéresser à la question qui agite les foules : son processus d’adoption. Car un PSEM sauvage, directement pondu par la DIME, avant d’être définitivement adopté, doit passer par une batterie de protocoles administratifs.
Actuellement, le projet du PSEM 2024, se trouve à l’étape de la mise en consultation publique. C’est-à-dire qu’il n’est pas encore entré en vigueur. Il s’agit d’une modification présentée à la population pour qu’elle puisse donner son avis. Le PSEM actuellement effectif, et ce jusqu’à la fin du processus d’adoption, a vu le jour en 2011, c’est le premier du nom, après le PSAME des années 1980 dont nous avons parlé précédemment. Selon la Loi sur l’aménagement du territoire, la LAT, le PSEM doit être révisé tous les 10 ans ; le PSEM 2024 est donc une actualisation obligatoire du projet de 2011.
Le projet de modification est d’abord élaboré par le SeCA (le papa disons), sous la direction du COPIL (l’autre papa, ce sont des choses qui arrivent) et de la DIME (la grand-mère, mettons pour compléter le tableau). Les autres instances cantonales concernées (le reste des membres influents de la famille) ainsi que les régions (les cousins éloignés) sont sollicitées durant ce processus pour donner leur avis indicatif sur des points précis. Une fois le projet pondu, il passe par ce qu’on appelle une « consultation interne » : c’est le moment où chaque service concerné peut se prononcer. Lorsque tout le monde y a été de son petit commentaire, la DIME présente son bébé (et les remarques de toute la famille) au Conseil d’Etat qui le valide et qui décide de sa mise en consultation publique. Etape cruciale, puisque c’est pendant ces deux mois que les particuliers (nous) ont la possibilité de s’exprimer sur le projet. Les communes ont quant à elles trois mois pour se prononcer. Dans notre cas, la consultation publique du PSEM a débuté mi-juin et devait, théoriquement, durer jusqu’à mi-août – c’était avant que les opposant.es ne réussissent à obtenir un ajournement du délai, fixé désormais au 13 septembre.
Rappelons que, selon la loi, « pendant le délai de la consultation, toute personne intéressée peut adresser, par écrit, à la Direction, à la préfecture, ou à la commune des observations et des propositions motivées ». Toutes ces remarques sont ensuite transmises à la DIME. Dans le cas d’une divergence majeure entre une commune et la DIME, une prise de position de celle-là est nécessaire. Finalement, la DIME rassemble les observations dans un rapport qu’elle présente au Conseil d’Etat, qui demande à la DIME d’établir en fonction un projet définitif.
Et les gravières dans tout ça ?
Voilà pour le PSEM, vous savez tout ! Sauf que, si la longue vie d’une gravière commence par là, à ce stade elle est encore loin de cracher son premier caillou. Car, comme le rappelle le site Internet du SeCA, « le fait qu’un secteur soit inscrit dans le PSEM ne signifie pas que celui-ci sera exploité ».
En effet, après qu’un secteur est inscrit dans le plan directeur cantonal, l’exploitant doit élaborer un rapport technique présentant un projet de gravière concret. Durant la « mise en zone », il doit le soumettre à la commune pour qu’elle modifie son Plan d’aménagement local.
Parallèlement, toute gravière de plus de 300 000 m3 doit faire l’objet d’une étude d’impact sur l’environnement (EIE). Celle-ci détermine plus en détail quelles vont être les conséquences directes du projet de décharge sur les différents biens environnementaux à protéger, tels que les eaux, le sol, l’air… Elle estime, par exemple, le nombre de camions qui vont circuler par jour et permet à la population de savoir plus concrètement quelles seront les nuisances liées au projet. Cette étude est préavisée par les services spécialisés en même temps que la mise en zone.
Finalement, une demande de permis de construire doit être déposée. Elle est mise à l’enquête publique par insertion dans la Feuille officielle pendant 30 jours. Délai durant lequel toute personne physique ou morale peut faire opposition par dépôt d’un mémoire motivé (nom barbare pour dire une lettre présentant des arguments juridiques) auprès du secrétariat communal. A nouveau, chaque service cantonal se prononce sur l’admissibilité de la demande et la préavise. Finalement, sur la base de ces préavis, la préfecture, qui est l’autorité compétente pour la délivrance du permis de construire, statue sur la demande et la recevabilité des oppositions. En dernier lieu, cette décision peut elle-même être sujette à recours auprès du Tribunal cantonal.
Nous arrivons maintenant au terme de notre voyage. Le personnel d’accompagnement des procédures d’ouverture des gravières vous félicite pour votre patience et espère que cette traversée vous a été forte utile. Vous disposez dès aujourd’hui de toutes les connaissances administratives nécessaires pour comprendre les différentes prises de position contre le projet de PSEM qui ont fleuri un peu partout sur le canton… Pour aller plus loin, laissez-vous embarquer vers un tour d’horizon des différentes oppositions qui essaiment dans le canton. Suivra bientôt un nouvel article décortiquant les reproches qui sont faits au PSEM.